Y a-t-il un maire à Montréal?
24 septembre 2007
L’entrevue qui suit a été réalisée par Pierre
Dubuc et d’abord publiée le 6 septembre dans le mensuel
l’Aut’Journal.
Nous la reproduisons ici avec l’aimable autorisation de
l’Aut’Journal.
«Le 18 décembre 2003 au matin,
nous signions notre convention collective. Le même jour,
laprès-midi, le maire Gérald Tremblay demandait des modifications
à la Charte de Montréal qui ont eu pour effet de déshabiller
presque complètement la Ville pour remettre les pouvoirs aux 19
arrondissements», rappelle Monique Côté.
Depuis, les employés municipaux sont aux prises avec les
conséquences catastrophiques de ces décisions. Cest le cas des
10,000 cols blancs représentés par le syndicat que préside Mme
Côté. Le renouvellement de leur convention collective échue le 31
décembre 2006 pourrait être loccasion de redonner aux
Montréalaises et aux Montréalais une vraie ville.
Le maire
sest peinturé dans le coin
encore une fois
Monique Côté trouve que le maire Tremblay «sest peinturé dans le coin» en
dévoilant aux médias son cadre financier, quelques heures à peine
après lavoir présenté aux syndicats. En voulant négocier sur la
place publique avec une offre daugmentation de 0% pour 2007 et 2%
pour les trois années suivantes, le maire risque de devoir marcher
sur la peinture. Ce ne serait pas la première fois.
Cependant, dans le cas des cols blancs, les principaux enjeux
touchent davantage les clauses normatives. Cest en écoutant la
présidente du syndicat nous les expliquer quon se rend compte de
létat bordélique dans lequel se trouve ce quon continue dappeler
la ville de Montréal, mais qui, dans les faits, nest plus une
ville.
Dix-neuf petits royaumes
À laide dun sondage auprès de ses membres, complété par des
réunions avec ses délégués, le syndicat, affilié au Syndicat
canadien de la fonction publique (SCFP-FTQ), a identifié un certain
nombre de priorités de négociations. En tête de liste, on retrouve
la mobilité de la main-duvre.
Depuis les modifications apportées à la Charte de la Ville, les
droits de gérance à ce chapitre relèvent des dix-neuf
arrondissements qui agissent comme autant de fiefs moyenâgeux.
Ainsi, une bibliotechnicienne à temps partiel ne peut postuler pour
un emploi à temps plein dans un autre arrondissement à moins de
démissionner de son emploi et de renoncer à son ancienneté.
Pour compliquer encore davantage la situation, les arrondissements
se sont mis à redéfinir les titres demploi. Ainsi, dans
larrondissement Ville-Marie, le poste d’inspecteur en circulation
a été fusionné avec le poste d’inspecteur du domaine public pour
donner un nouveau titre d’emploi: inspecteur darrondissement.
Mais, dans un autre arrondissement, il peut porter un autre nom,
avec une définition de tâche légèrement modifiée. Si bien que les
250 titres demploi ont été multipliés par trois pour atteindre le
chiffre de 750!
On ne sait pas si une chatte y retrouverait ses petits mais, chose
certaine, les cols blancs ny retrouvent plus de plan de carrière.
«Nous demandons non seulement de
fusionner des postes pour en réduire le nombre, mais aussi que la
Ville sengage à créer un comité pour évaluer les besoins en main
duvre pour les années à venir de façon à ce que les gens puissent
planifier leur carrière», nous dit Monique Côté.
Une majorité sont à statut
précaire
Comme 6000 des 10,000 membres du syndicat sont à statut précaire,
on comprend que leur situation fasse lobjet de plusieurs demandes.
«Il y a un manque flagrant
déquité. Après 15 ans de travail, leur nombre de semaines de
vacances est encore déterminé par la loi des normes minimales,
sindigne la présidente des cols blancs. Il y a un nombre
considérable de personnes ayant plus de cinq ans dancienneté et
qui ne peuvent bénéficier des quatre semaines de vacances que
prévoit la convention collective pour les employés
permanents.»
Au cours des ans, le syndicat a fait des gains pour ses membres à
statut précaire (congés de maladie, congés mobiles, échelles de
traitement), mais un des objectifs de la présente négociation est
de soumettre ces emplois à un plan dévaluation et den faire
accéder le plus grand nombre à la permanence.
«Cest actuellement très
aléatoire et cela cause plein de problèmes. Par exemple,
nous explique Monique, la Ville a
de la difficulté à recruter des sauveteurs pour ses piscines, tout
simplement parce que le salaire à 12$ de lheure se compare très
défavorablement au 16$ que le gouvernement du Québec accorde aux
sauveteurs de la piscine olympique.»
«Cette évaluation est
incontournable, juge-t-elle, parce la loi sur léquité salariale va
obliger à réévaluer les emplois à prédominance féminine. Ce sera
facile, après cela, pour des employés de se présenter devant les
tribunaux en plaidant quils sont victimes de discrimination,
diniquité.»
Lautre priorité syndicale, cest la conciliation travail-famille.
«On demande, donne-t-elle
en exemple, la possibilité
dhoraires flexibles comme cela se fait dans plusieurs entreprises.
Présentement, cest laissé au bon vouloir de larrondissement.
Cest appliqué dans certains, mais pas dans dautres
arrondissements. On demande également de pouvoir se constituer une
banque de congés pouvant être utilisés pour prolonger un congé
parental ou encore pour soccuper dun parent malade.»
Les arrondissements doivent
sengager à respecter lentente
Aux dires de la présidente Monique Côté, les négociations
progressent à un rythme intéressant. Mais la question fondamentale
est de savoir si un éventuel règlement avec ladministration du
maire Tremblay lierait les arrondissements.
Monique Côté se souvient trop bien de la journée du 18 décembre
2003 au cours de laquelle le maire a ni plus ni moins défait
laprès-midi, en demandant au gouvernement québécois des
modifications à la Charte de la Ville de Montréal, le règlement
intervenu le matin avec les organisations syndicales.
«Nous ne signerons rien sans que
les arrondissements sengagent à respecter la convention
collective», jure-t-elle. Et les choses ne sannoncent pas
faciles. Déjà, larrondissement Hochelaga-Maisonneuve a interpellé
le Tribunal du travail en plaidant que des objets de négociation
présentement discutés à la table centrale relèvent du pouvoir des
arrondissements. «Selon la
Charte, reconnaît Monique Côté, cest clair que les conditions salariales
relèvent de la table centrale, mais il y a 19 autres points qui
sont de la juridiction des arrondissements.»
Dans les conditions actuelles, on ne voit pas très bien comment ces
négociations pourront se conclure sans déboucher sur une crise
majeure. Mais, peut-être justement, faut-il une telle crise pour
faire prendre conscience aux Montréalais de létat de leur ville. Y
a-t-il un maire à Montréal? La vraie question est plutôt: Montréal
est-elle encore une ville?