L’heure juste sur la dette du Québec
15 juin 2010
À la veille des sommets du G8 et du G20 où le
gouvernement Harper entend agiter lépouvantail de la dette pour
inciter les pays membres à adopter des mesures daustérité plus
sévères, et dans la foulée du budget Bachand où le même épouvantail
sert daccélérant pour un retour précipité à léquilibre
budgétaire, la CSN, la FTQ et la CSQ joignent leur voix à celle de
groupes déconomistes, le collectif Économie autrement, lInstitut
de recherche sur léconomie contemporaine (IREC) et lInstitut de
recherche et dinformations socio-économiques (IRIS), pour donner
Lheure juste sur la dette du Québec. Il sagit dailleurs du titre
dune étude de léconomiste Louis Gill autour de laquelle sest
articulée cette sortie collective sans précédent.
On peut lire en préambule de lanalyse de
Louis Gill que «Pour camper le
décor en vue du budget de lannée 2010-2011 et convaincre la
population de la nécessité des mesures assassines quil allait
contenir, la réduction de la dette a été présentée comme une
urgence nationale par le gouvernement (du Québec), ses experts
indépendants et tous les partisans de la vision lucide:
– une dette caractérisée comme exorbitante, découlant de décennies
de surconsommation de services publics par une population vivant
au-dessus de ses moyens;
– une dette dont les deux tiers seraient en conséquence une
mauvaise dette résultant de déficits budgétaires cumulés au fil
des années en raison dexcès de dépenses courantes, qualifiées de
dépenses dépicerie.»
Léconomiste dénonce également le double discours du gouvernement
sur lampleur de la dette québécoise selon quil sadresse aux
autorités de réglementation des marchés financiers des pays
prêteurs (60% du PIB) ou quil veuille noircir volontairement le
portrait (94,5 % du PIB) en joignant à la dette québécoise une
portion de la dette canadienne qui na pas à lui être imputée.
« Ce nest pas parce quon
colporte et martèle, même à grande échelle, un mensonge éhonté que
celui-ci devient vérité. Non, la population du Québec ne vit pas
au-dessus de ses moyens. Non, nos services publics ne sont pas
sclérosés et la privatisation fait partie du problème et non pas de
la solution. Non, notre dette nest pas hors contrôle et sappuie
sur des actifs tangibles et intangibles de qualité », a
indiqué pour sa part le président de la FTQ, Michel Arsenault.
«Quand on entend le FMI dire
quune dette à 60 % du PIB est raisonnable, on voit mieux pourquoi
ceux qui veulent nous passer entre les dents la couleuvre des
tarifications régressives, des tickets modérateurs et autres
franchises santé ont intérêt à gonfler les chiffres», a
ajouté la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau.
«Oui, il faut prendre la dette au
sérieux. Mais il y a des limites à ne pas tenir compte des signaux
qui nous viennent à la fois des États-Unis et dEurope sur les
dangers bien réels dun retrait prématuré des mesures de soutien à
léconomie. Cela risque de produire leffet contraire», a
fait valoir la leader syndicale.
Et que dire du legs aux générations futures? «Les centaines de millions consacrées au
remboursement de la dette depuis la création du Fonds des
générations sont autant de millions qui ne vont pas au maintien de
services publics de qualité et à la réfection dinfrastructures
désuètes. Nest-ce pas plutôt cela que nous devrions léguer aux
jeunes?» a questionné Réjean Parent, président de la CSQ.
Guillaume Hébert de l’IRIS a rappelé, comme le souligne Louis Gill
dans son étude, que «les mesures
actuelles mises en avant par le gouvernement Charest pour rehausser
ses revenus, qui combinent des hausses de tarifs et des réductions
de dépenses, auront des conséquences socio-économiques désastreuses
pour le Québec. Le comité d’experts du gouvernement les présente
comme les moins nuisibles à léconomie, alors qu’elles sont les
plus nuisibles pour la majorité des individus qui composent cette
économie.»
Robert Laplante, de lIREC, a tenu quant à lui à contrer
le préjugé tenace voulant que les déficits budgétaires à lorigine
de la mauvaise dette du Québec soient le résultat dexcès de
dépenses. «Ces déficits sont
davantage la conséquence de revenus insuffisants. Pensons notamment
à tous les revenus dont le gouvernement sest privé depuis quelques
années en ne récupérant pas le point de TPS ou en baissant les
impôts. Par ailleurs, la dette du gouvernement du Québec est
principalement une bonne dette, contractée pour acquérir des
immobilisations.»
Enfin, Bernard Élie, du collectif Économie autrement, met en garde
à la fois contre la surenchère de plans daustérité de plus en plus
sévères comme on le voit aujourdhui dans la zone euro et contre la
précipitation du gouvernement Charest à vouloir rétablir
léquilibre budgétaire à tout prix en évoquant, entre autres,
lampleur de la dette.
«La reprise, si reprise il y a,
tient à un fil ténu comme on le voit en Europe. Et la reprise de
lemploi nest pas au rendez-vous comme anticipée chez nos voisins
du Sud. Faut-il rappeler le vieil adage voulant que lorsquon se
compare, on se console et cesser de grossir démesurément la menace
que fait peser sur nos têtes une dette somme toute
raisonnable», a conclu Bernard Élie.
À la lumière du document rendu public le 15 juin 2010, il est clair
que la dette du Québec est loin davoir le caractère exorbitant que
le gouvernement a invoqué à lappui des mesures inacceptables de
son budget. Il en est de même du déficit budgétaire qui, à 1,4% du
PIB pour 2009-2010, est nettement inférieur à celui de la plupart
des pays industrialisés. Les centrales syndicales et les organismes
de recherche estiment en conséquence que ce budget est fondé sur
des prétentions injustifiables, que le gouvernement doit renoncer à
lui donner force de loi et quil doit procéder à sa révision en
profondeur, en réponse à lopposition généralisée qui sest
manifestée dans la population depuis son dépôt le 30 mars
dernier.