«Quebec is open for business»
10 novembre 2004
Cet article est reproduit avec l’aimable autorisation de
l’Aut’Journal
Par Pierre Dubuc
Quelques jours après la réélection de George W. Bush, le premier
ministre Charest se rendait à Boston rencontrer les financiers
américains et leur dire: «Quebec is open for business».
Pendant ce temps, à Québec, la présidente du Conseil du trésor, Mme
Jérôme Monique-Forget présidait la commission parlementaire chargée
d’étudier le projet de loi 61, créant l’Agence des partenariats
public-privé (PPP). Faut-il voir un lien entre les deux événements?
L’Agence des PPP sera une super-structure qui pourra interpeller
tous les organismes gouvernementaux, para-gouvernementaux et les
municipalités pour les forcer à s’associer à des partenaires privés
pour leurs projets de construction et de gestion d’infrastructures.
Parmi les projets de PPP déjà prévus, il y a le parachèvement de
l’autoroute 30, la maison de l’Orchestre symphonique à Montréal
(OSM), une prison à sécurité minimum en Montérégie, des ententes
entre hôpitaux et cliniques privées, la construction et la
rénovation de centres de longue durée.
Mme Forget justifie les PPP en reconnaissant
que la lutte au déficit s’est traduite par «un
sous-investissement chronique dans nos infrastructures» et que
si «à l’époque de la Révolution tranquille, seul l’État avait la
capacité financière d’investir dans des travaux d’infrastructure,
le secteur privé est aujourd’hui une locomotive du développement
économique du Québec et les plus grands consortiums sont en
position de financer des projets d’infrastructure.»
D’autres intervenants ont des explications plus prosaïques.
Françoise Bertrand, la pdg de la Fédération des Chambres de
commerce, reconnaît que le gouvernement n’a plus les moyens
d’investir s’il veut honorer «sa promesse de baisser les impôts
d’un milliard de dollars par année, pendant cinq ans.»
Jean-Paul Gagné du journal Les Affaires explique que la
dette du gouvernement augmente de trois milliards par année, même
s’il annonce des budgets sans déficit, tout simplement parce que
seul l’amortissement annuel de ses emprunts pour immobilisations
est inscrit comme dépense. «En utilisant les PPP pour financer,
construire et exploiter des projets d’infrastructure, écrit-il,
les emprunts réalisés à cette fin seraient inscrits dans le
passif des partenaires privés et non dans celui de l’État.»
Mais ce stratagème n’est pas sans coût. Michel Gagnon, le président
de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du
Québec donne l’exemple du Pont de la Confédération qui relie le
Nouveau-Brunswick à l’Île-du-Prince-Édouard. Le contrat avait été
confié à l’entreprise Strait Crossing Development qui a dû
emprunter 161 millions pour réaliser le projet. Selon M. Gagnon,
«le vérificateur général adjoint du Canada a conclu que les
coûts de financement auraient pu être inférieurs d’environ 45
millions, si le gouvernement s’était procuré l’argent en ayant
recours à son propre programme d’emprunt.»
À ces coûts d’emprunts plus onéreux s’ajoutent d’autres dépenses.
William Spurr, le président de Bombardier pour l’Amérique du nord,
a demandé que les frais de préparation des soumissions à des
projets de PPP soient remboursés par l’État, que l’entreprise
soumissionnaire soit retenue ou non. Dans le cas des projets
auxquels Bombardier s’intéresse, ces frais peuvent varier entre
cinq et 10 millions de dollars, selon M. Spurr.
Nous avons déjà un exemple, plus modeste, de tels coûts. Le
gouvernement a autorisé le versement d’une compensation de 800,000$
aux consortiums lorgnant le contrat pour ériger l’îlot Balmoral
devant abriter l’Orchestre symphonique de Montréal. Ces consortiums
sont Espace culturel Montréal, Busac immobilier, Axoe Macquairie
Johnson Controls et Lemay et associés. Selon les règles établies,
deux consortiums recevront un prix de consolation de 150,000$
lorsqu’ils seront éliminés cet hiver et les deux autres toucheront
au printemps 250,000$ pour leur proposition détaillée.
Plusieurs organismes ne font pas la même évaluation que Mme Forget
des réussites de la Révolution tranquille et de la capacité des
consortiums québécois de financer des projets d’infrastructures
d’envergure.
L’Association des constructeurs de routes et de grands travaux du
Québec pense que le gouvernement devrait s’assurer «de ne pas
restreindre les PPP aux seules entreprises de grande envergure qui
sont rarement québécoises».
L’Association des ingénieurs-conseils du Québec craint, étant donné
l’ampleur des sommes recherchées, que «plusieurs promoteurs qui
s’impliqueront dans les PPP proviendront de l’extérieur du
Québec.»
Leurs inquiétudes ne sont pas sans fondement. En ce qui concerne
les aqueducs et le traitement des eaux usées, on connaît l’appétit
des multinationales françaises, la Générale des Eaux et Suez-La
Lyonnaise des eaux. Rappelons que le ministre Yves Séguin a été à
l’emploi de la première et que Power Corporation est un actionnaire
important de la deuxième.
Mais il y a d’autres exemples moins connus. Dans le secteur du
transport, la française Connex a pris pied au Québec l’an dernier,
par l’intermédiaire de sa filiale Connex North America, avec
l’acquisition du transporteur montérégien GVI. Déjà, 40% du chiffre
d’affaires de GVI venait de l’impartition de services municipaux et
inter-municipaux de transport public, soit le transport adapté et
le transport scolaire.
Connex est le premier exploitant privé européen en transport public
avec un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros en 2003.
Présente dans 22 pays et plus de 4,000 collectivités, l’entreprise
a décroché l’an dernier le mandat d’exploitation des chemins de fer
de banlieue de Boston.
La ville de Gatineau est à la recherche d’un investisseur privé
pour la moitié d’une somme de 90 millions $ pour la construction en
PPP d’un Centre international du commerce. Parmi les cinq
exploitants en vue, il y a les multinationales Sodexho, Compass
Group et Olympia & York Properties Corporation.
Des entreprises québécoises sont impliquées dans des PPP ailleurs
au Canada, mais le plus souvent avec des intérêts étrangers. Par
exemple, SNC-Lavalin et Bombardier sont en concurrence dans des
consortiums différents qui soumissionnent pour obtenir un contrat
de construction et de gestion en PPP d’un train rapide en
Colombie-britannique évalué à 1,8 milliard $. SNC-Lavalin fait
équipe avec Serco, une société anglaise, alors que Bombardier s’est
alliée au constructeur français Bouygues et aux firmes d’ingénierie
allemande Billinger Berger et anglaise AMEC.
L’inquiétude des entreprises et des firmes d’ingénieurs québécois
de se retrouver évincés du marché ou de devoir se contenter d’un
rôle de sous-traitant n’est donc pas un signe de paranoïa.
Les PPP suscitent d’autres types d’inquiétude. «Transparence,
éthique, déontologie, imputabilité& tous ces principes
fondamentaux sont négligés dans le projet de loi 61» dénonce la
Protectrice du citoyen, Pauline Champoux-Lesage. Une préoccupation
fort légitime si on tient compte des propos de Mme Françoise
Bertrand, la pdg de la Fédération des Chambres de commerce du
Québec, qui tient à la confidentialité des propositions du privé.
«Il ne faut pas dévoiler au public les secrets industriels»,
déclare-t-elle.
«Favoritisme, népotisme, gain personnel direct ou simple espoir
d’un retour d’ascenseur risquent de favoriser l’intérêt particulier
au détriment de l’intérêt public», rétorque Mme la Protectrice
du citoyen. En fait, l’ascenseur est déjà sur le palier. Deux
firmes qui ont reçu quelques dizaines de milliers de dollars du
Conseil du trésor pour aider la ministre Monique Jérôme-Forget dans
ses réflexions visant à remodeler l’État, soit Raymond Chabot Grant
Thornton et KPMG, ont versé par l’intermédiaire de leurs comptables
respectivement 50,000 $ et 55,000 $ en 2003 au Parti libéral.
Quant à la firme d’ingénierie BPR qui s’est fait confier le mandat
d’élaborer un plan d’action pour l’entretien et la rénovation des
infrastructures liées à l’eau, au moins 28 de ses employés ont
versé des dons d’environ 33,000$ au PLQ en 2003.
Les organisations syndicales ont rapidement compris que l’Agence de
PPP ouvrait toute grande la porte aux privatisations, surtout dans
les municipalités où un autre projet loi, numéroté 62, contraint
les villes à passer par l’Agence et à se trouver des partenaires
privés pour tous leurs projets d’infrastructures.
Drôle de coïncidence qu’au même moment où se discute l’Agence de
PPP, le Syndicat des cols bleus de Montréal se voit imposer la
sentence de l’arbitre Gilles Lavoie qui élimine les protections
contre la sous-traitance et diminue le plancher d’emplois. À
Québec, les offres faites au Syndicat de la fonction publique du
Québec (SFPQ), dans le cadre des négociations du secteur public,
remettent en cause la sécurité d’emploi et ouvrent la porte à la
sous-traitance.
Commentant ces offres, Mme Forget a déclaré qu’il «fallait
adapter le statut de fonctionnaire aux nouvelles réalités,
notamment aux modèles émergents comme les PPP.»