Quebecor «coule» une victime de viol
12 décembre 2007
(MMQ- Éric Thibault)- Quebecor Média inc., la
Corporation Sun Média (Le Journal
de Québec), le portail Internet Canoë et le journaliste
Hubert Lapointe se retrouvent conjointement accusés davoir
transgressé une ordonnance du Tribunal, ayant publié lidentité
dune victime dagression sexuelle, lété dernier.
Les coaccusés devront comparaître au palais de justice de Québec,
le 5 février prochain, afin de répondre à laccusation qui vient
dêtre portée contre eux en vertu du code criminel, et ce, à la
suite dune
enquête menée par les policiers de la Sûreté du Québec. Selon
la plainte autorisée par la procureure de la poursuite, Me Lyne
Morais, linfraction a été commise le 6 juillet dernier. Le
Journal de Québec (dont
les employés de la rédaction et des bureaux étaient alors déjà sous
le coup dun lock-out depuis deux mois et demi) et Canoë avaient à
ce moment publié un article au sujet dun militaire de Valcartier,
Pier-Olivier Boulet, qui venait dêtre condamné par le juge Carol
St-Cyr à une peine de 15 mois à purger dans la collectivité pour
agression sexuelle.
Victime sous
le choc
Dans larticle quil a rédigé pour Canoë, le journaliste Hubert
Lapointe a rapporté les circonstances de lagression subie par la
victime, une jeune femme de 18 ans, tout en publiant son identité
en toutes lettres. Larticle a été repris par le Journal de Québec (sans toutefois que
son auteur soit identifié, les articles de nouvelles de ce
quotidien nétant pas signés depuis le début du lock-out) et encore
là, lidentité de la victime a été divulguée.
Or, une ordonnance de non-publication sur lidentité de la jeune
femme était en vigueur, ayant été prononcée par le tribunal au
début des procédures judiciaires. Dailleurs, la poursuite réclame
de façon systématique que le juge rende pareille ordonnance en
matière de crime à caractère sexuel, dans le but de préserver
lanonymat des plaignantes et plaignants sur la place publique, et
ce, quils soient mineurs ou majeurs.
Dans ce cas-ci, la victime de 18 ans, surprise et choquée que son
nom eut été dévoilé sur Canoë et dans le Journal de Québec, a rapidement
communiqué avec la Couronne pour se plaindre. Elle a notamment été
reconnue dans son milieu de travail, et même par certains membres
de sa famille qui ignoraient tout des procédures judiciaires dans
lesquelles elle était engagée.
Le Bureau régional denquête de la Sûreté du Québec a été saisi de
laffaire.
Le 11 juillet, deux enquêteurs de la SQ débarquaient aux bureaux du
Journal de Québec, au 450
de lavenue Béchard. Munis dun mandat de perquisition, ils
étaient en quête de documents et de renseignements sur lidentité
du journaliste visé, ainsi que dexplications des responsables du
quotidien.
Lenquête vient de conduire à la mise en accusation non seulement
du journaliste de 26 ans, mais aussi des deux entités médiatiques
ayant publié son article, ainsi que la société qui en est
propriétaire, Quebecor Média inc. Linfraction dont ils sont
inculpés est passible dune amende.
Si les «pros» avaient étaient
là…
Le criminaliste Rénald Beaudry estime que pareille «gaffe» aurait eu moins de risque
dêtre commise si les professionnels de linformation du
Journal de Québec
navaient pas été en lock-out.
«Cest sûr que le conflit de
travail peut avoir été un facteur. Les chroniqueurs du
Journal de Québec sont des
professionnels, ils sont expérimentés et les jeunes peuvent compter
sur les conseils des plus vieux. Mais en conflit, cest différent,
un journaliste arrive, il est tout seul, et sil a peu dexpérience
au palais de justice, il est plus susceptible de commettre ce genre
de gaffe», a commenté Me Beaudry, impliqué dans
lAssociation des avocats de défense de Québec.
Le plaideur expérimenté dit navoir «jamais vu» daccusation de ce type
être portée aux dépens dun média ou dun journaliste dans la
région, bien quil ait déjà été témoin de remontrances faites par
des juges à des reporters.
Un autre criminaliste, Me Robert La Haye, abonde dans le même sens.
«Cest très rare que ça arrive et
cest très rare que des journalistes en soient accusés. Cest
élémentaire: le journaliste a le devoir de bien sinformer avant
décrire quoi que ce soit, sur la scène judiciaire. La présence
dune ordonnance est facile à prouver, tout comme la contravention
à cette ordonnance. Reste à voir les explications quauront les
parties accusées», a mentionné lavocat montréalais, qui
compte 38 ans de pratique.
En 1999, les stations de télévision CKRS-TV et CFRS-TV, propriété
de Cogeco, et un journaliste avaient été condamnés à payer une
amende de 10,000 $ après avoir reconnu leur culpabilité à une
accusation semblable. Au premier jour dun procès pour agression
sexuelle, le journaliste avait diffusé un reportage mettant en
ondes le nom, la voix et des images de la victime, malgré une
ordonnance de non-publication.
La plaignante avait ensuite refusé de poursuivre son témoignage et
le procès a avorté. Le juge Louis-Charles Fournier avait sermonné
les diffuseurs, même si linfraction résultait dune «malencontreuse erreur de bonne foi»,
selon leur avocat, qui ajoutait que le journaliste visé fut
congédié.