L’intégrité de la fonction publique bafouée par Trump
1 mai 2025
Le SCFP-Québec représente des membres de la fonction publique dans différents secteurs. Ces travailleuses et travailleurs sont au service de la population en toute intégrité. Depuis plusieurs années, la fonction publique est critiquée et subit les attaques des gouvernements. C’est pourquoi il était tout indiqué pour le 34e congrès d’accueillir Maude Benoit, professeure au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal, pour sensibiliser les délégations sur les dérives qui ont cours dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis depuis l’élection du président Donald Trump.
Au Québec
La panéliste a commencé par faire le point sur la situation au Québec. Depuis longtemps, l’administration publique est critiquée parce que supposément trop lente, trop lourde, trop onéreuse ou trop inefficace. Nombreux sont les gouvernements qui ont fait la promotion du démantèlement de la fonction publique. Ce fut le cas sous Lucien Bouchard dans les années 1990 avec la Loi sur l’administration publique, sous Jean Charest avec la réingénierie de l’État, sous Philippe Couillard et sa rigueur budgétaire. Le gouvernement Legault poursuit actuellement dans la même veine. Le « nouveau management public » tente de s’inspirer de l’entreprise privée pour accroître la performance, l’efficacité et la productivité.
La fonction publique telle qu’elle est connue aujourd’hui est relativement récente. Au Québec, son émergence remonte à aussi tard que les années 60. Sous le régime monarchique, elle était simplement inexistante. Avec l’avènement de la démocratie, elle s’est étendue de façon à être utilisée comme une ressource politique ou « un bras armé ». Le parti élu pouvait, à sa guise, nommer les fonctionnaires ou les démettre. La nomination était partisane et étant donné le manque de sécurité d’emploi, les fonctionnaires étaient prompts à la corruption. Cette même situation s’appliquait à l’essor des services publics. Sous le gouvernement de Maurice Duplessis, le vote « du bon bord » était déterminant du développement et de l’entretien des infrastructures.
L’explosion démographique et l’augmentation de l’espérance de vie ont entraîné un virage important que Maude Benoit définit comme l’avènement d’une administration publique moderne. Les fonctionnaires sont maintenant des personnes compétentes recrutées au mérite plutôt que nommées. Elles bénéficient d’une stabilité d’emploi leur permettant de conseiller les élus en fonction d’une opinion éclairée sans craindre d’être congédiés.
L’intégrité des fonctionnaires assure un traitement égal pour tous. L’État travaille aujourd’hui au nom de l’intérêt général.
Le contexte mondial
L’administration publique vit depuis quelques années une vague d’attaques dans des pays démocratiques. Le professeur mentionne notamment le virage amorcé par les gouvernements hongrois, argentin et brésilien. Elle nomme aussi le cas récent des États-Unis.
Le démantèlement de la fonction publique aux États-Unis
Mme Benoit insiste sur le fait qu’en 100 jours de pouvoir, l’administration Trump a émis environ 140 décrets. Parmi ceux-ci, on compte la déportation de personnes immigrantes au Salvador, la suspension de l’aide militaire à l’Ukraine et l’expulsion d’étudiantes et d’étudiants propalestiniens. Elle précise que plusieurs décrets visent à démanteler carrément l’administration publique.
Depuis sa nomination à la tête du soi-disant « département de l’efficacité gouvernementale » (« DOGE »), l’oligarque Elon Musk a sabré aveuglément et radicalement dans l’administration publique. La chercheuse fait le lien avec les politiques « chainsaw » du président argentin Javier Milei, qui a d’ailleurs récemment remis une scie mécanique caricaturale à l’homme d’affaires américain lors d’une cérémonie publique. Elle cite aussi Russell Vought, directeur du Bureau de la gestion et du budget, et auparavant figure importante de l’infâme « Projet 2025 », qui mentionnait dernièrement : « Nous voulons que les bureaucrates soient traumatisés », ouvrant la porte aux attaques de toute sorte contre les membres de la fonction publique.
Maude Benoit a par la suite décrit les stratégies de l’administration Trump :
- Couper dans la fonction publique ou l’anéantir, particulièrement les institutions allant à l’encontre des valeurs des élus du mouvement « MAGA ». Des coupures importantes ont eu lieu à l’Agence américaine des océans et de l’atmosphère, qui est responsable d’étudier les tornades, les ouragans et plus largement les changements climatiques afin de protéger la population.
- Nommer des hauts fonctionnaires en phase avec les valeurs « MAGA ». Par exemple, la nomination de Lee Zeldin, un négationniste climatique, à la tête de l’Agence de protection de l’environnement.
- Maximiser le nombre de fonctionnaires partisans.
- Assujettir les fonctionnaires demeurant en poste à des exigences de loyauté idéologique.
- Terroriser les fonctionnaires, notamment en les dénonçant individuellement sur la place publique. Les procureurs associés aux poursuites juridiques contre Donald Trump ont été congédiés.
Ce changement de régime fait en sorte que les fonctionnaires ne pourront plus être neutres et apolitiques. Ils devront obéir aux injonctions purement politiques du pouvoir en place.
La conférencière a rappelé que l’administration publique est portée par les valeurs d’intégrité, d’impartialité, de loyauté, de compétence et de respect. Elle pose la question : « À qui ou à quoi doit-elle être loyale? » Dans le contexte actuel, la question est capitale. Si la fonction publique doit être loyale envers le pouvoir en place avant de l’être envers la population, peut-elle demeurer intègre, impartiale, compétente et agir respectueusement?