Lettre ouverte à Jean Neveu, président du Conseil de Quebecor Inc.
13 août 2002
C’est avec grand intérêt que nous avons lu et relu la lettre que
vous avez publiée dans vos quotidiens le samedi 10 août dernier.
Dans un conflit qui s’enlise et qui rappelle chaque jour un peu
plus certaines de nos pages d’histoire les plus tristement
célèbres, marquées par l’utilisation de briseurs de grève et la
violence (Commonwealth Plywood, Robin Hood, United Aircraft), votre
intervention au double titre de président du Conseil de Quebecor et
de compagnon d’armes de son fondateur, Pierre Péladeau, pouvait et
devait signifier le retour au dialogue avec les employés de
Vidéotron. Rien n’indique pourtant que ce soit le cas. Si le ton
emprunté semble conciliant, la rhétorique, elle, demeure celle qui
a conduit à l’impasse actuelle.
Le virage de Vidéotron
Vous affirmez dans votre lettre que pour être concurrentielle, une
entreprise doit satisfaire à trois critères du consommateur : la
qualité du produit, la qualité du service et le prix. Vous ajoutez
que si Vidéotron l’emporte « haut la main sur la base du premier
critère », ce n’est pas le cas pour les deux autres conditions.
C’est pourquoi, dites-vous, dès la prise de contrôle de Vidéotron
en mai 2001, Quebecor a entrepris de revoir en profondeur son
processus d’affaires.
Peut-être l’ignorez-vous, Monsieur Neveu, mais les employés et
leurs syndicats, de concert avec les précédents dirigeants de
l’entreprise, n’ont pas attendu la venue de Quebecor pour
entreprendre de fond en comble la révision des processus d’affaires
de Vidéotron, afin de rendre la compagnie plus performante dans un
contexte hautement concurrentiel. Les syndicats et les employés
sont conscients, depuis plusieurs années déjà, de l’urgente
nécessité de réussir le virage « concurrence » pour assurer
l’avenir de l’entreprise et les emplois qu’elle génère.
C’est le partenariat tissé entre les deux syndicats membres du SCFP
et de la FTQ, représentant les quelque 2 400 employés (en incluant
ceux de Hull et de Chicoutimi), et la direction de Vidéotron qui a
permis la modernisation d’un réseau dont la qualité exceptionnelle
fait aujourd’hui votre fierté. En partenariat, nous nous étions
aussi attaqué aux incontournables critères de qualité du service et
des prix : ouverture du service technique 24 heures sur 24, 7 jours
sur 7; implantation de nouvelles technologies de travail tel que le
système de répartition assistée par ordinateur; implantation des
équipes de travail responsabilisées au niveau de la qualité
technique (installation et réparation); « coaching » visant
l’amélioration constante du service à la clientèle; substitution
des congés fériés mobiles aux traditionnels congés fériés fixes,
pour assurer la permanence du service tout en réduisant les coûts;
formation continue des employés en entreprise et hors entreprise
(sur leur temps); virtualité opérationnelle des centres d’appels
pour améliorer la célérité du service et réduire les coûts; etc.
Les relations du travail elles-mêmes n’ont pas échappé à ce vent de
renouveau, à tel point que les griefs étaient tombés à leur niveau
le plus bas des 25 dernières années grâce à une volonté mutuelle de
déjudiciariser le règlement des litiges. La qualité des relations
du travail chez Vidéotron était citée en exemple dans les chaires
de relations industrielles.
Tout cela, c’était il y a 18 mois à peine. Tout cela,
malheureusement, c’était avant Quebecor. Car l’un des premiers
gestes de la nouvelle direction, l’an dernier, a été de mettre la
hache dans ce partenariat avec les employés de Vidéotron. Depuis,
des dizaines de projets et de recommandations d’amélioration de
performance, préparés avec la complicité des employés, accumulent
la poussière sur les tablettes de Vidéotron. Le département des
Ressources humaines, qui comptait une cinquantaine de personnes, a
été réduit à néant, ou presque. La nouvelle direction a plutôt
résolu d’engager un terrible bras de fer contre ses employés,
cadres comme syndiqués.
Non, Monsieur Neveu, ce n’est pas l’objectif qui a changé, c’est la
méthode. La brutalité et l’arrogance ont soudainement succédé au
partenariat et au respect mutuel. Pourquoi ?
Le sort des techniciens, un enjeu incontournable
En conclusion de votre lettre publiée le 10 août, vous affirmez :
« Si nous pouvons ouvrir le dialogue avec nos 1 500 employés,
nous pourrons rapidement nous entendre ». Tout est là!
Devons-nous vous rappeler que la direction actuelle de Vidéotron a
elle-même décidé de faire des conditions de travail des 640
répartiteurs et techniciens à l’installation et au service un enjeu
majeur des négociations, pour ensuite les exclure arbitrairement du
champ de la négociation en les vendant purement et simplement à son
tout nouveau sous-traitant exclusif, Alentron, pour mieux réduire
les conditions de travail? Comment alors trouver un terrain
d’entente, quand l’une des parties décrète seule ce qui est ou
n’est pas, ou n’est plus, sujet à la négociation? Quand l’employeur
décide de réduire les unités de négociation de 2 200 à seulement 1
500 employés après les avoir mis en lock-out? Sans compter qu’à ces
quelque 640 personnes que vous voulez unilatéralement exclure de la
négociation en les vendant, s’ajoutent 200 autres, condamnées par
vos nouvelles autres exigences et encore près de 300 de plus qui
voient l’avenir de leurs emplois compromis par la récente décision
de transférer le centre d’appels de Montréal vers le parc
industriel de St-Hubert.
Au terme de cette dernière étape de restructuration, comme vous le
dites, vous sauveriez peut-être l’entreprise, mais au détriment de
la majorité des emplois de ceux qui « comptent sur elle pour
assurer leur avenir et celui de leurs familles. »
Pour qui sait compter?
Par le truchement de votre vice-président exécutif aux affaires
corporatives, monsieur Luc Lavoie, la nouvelle direction n’a de
cesse de dénoncer les trop généreuses conditions de travail des
employés de Vidéotron, conditions responsables, selon elle, de la
compétitivité chancelante de l’entreprise. Savez-vous que le
salaire maximum des quelque 800 personnes de vos centres d’appels
se compare à celui offert par les autres entreprises de l’industrie
(Bell, Rogers, etc.) À cette différence près toutefois : il leur
faut 13 années de service, comme pour tous les employés de
Vidéotron, pour atteindre le salaire maximum de leur fonction,
contre 5 années seulement chez Bell. Toute une différence car cela
veut dire qu’un employé, de même fonction et comptant 5 ans de
service, gagne 16,04 $ l’heure chez Vidéotron, contre 20,35 $ chez
Bell. Il s’agit là d’un avantage compétitif considérable pour qui
sait compter.
Toujours sous prétexte de compétitivité, vous exigez des
concessions de l’ordre de 13 millions $ de la part des employés que
vous avez la mansuétude de ne pas vendre. Pendant ce temps votre
principal compétiteur, Bell, vient d’octroyer des augmentations
salariales de 9,5 % sur trois ans à ses employés des centres
d’appels, dont le salaire horaire passera à 22,35 $ au terme de
leur nouvelle convention collective, soit près de 40 % de plus que
les employés de même fonction et de même ancienneté chez Vidéotron
!
Aucune nostalgie du monopole
Certains ont prétendu, et vous semblez de leur avis, que le présent
conflit serait le produit du choc des cultures entre Quebecor, la
battante, et Vidéotron, la monopolistique. Rien n’est plus faux.
S’il y a choc des cultures, c’est plutôt entre deux visions
opposées des relations du travail : celle de l’arrogance et de
l’affrontement, personnifiée mieux que quiconque par le principal
porte-parole de Vidéotron Luc Lavoie, face à celle de la
concertation et du partenariat qui caractérisait Vidéotron ces
dernières années. Laissons à d’autres le soin de juger laquelle de
ces cultures est la plus porteuse de progrès économique et social.
Personne chez Vidéotron n’est nostalgique du temps du monopole. La
majorité des employés compte moins de 5 ans de service et n’a
jamais connu ces temps soit-disant bénis. Les employés de Vidéotron
n’aspirent qu’à être à nouveau considérés comme un actif important
pour le développement de l’entreprise et sa capacité d’être
hautement concurrentielle et performante. Il y a peu, les employés
affirmaient encore avec fierté leur appartenance à cette entreprise
qui s’était gagné près d’un million et demi de clients au Québec.
Encore aujourd’hui, les employés et leurs syndicats ne demandent
pas mieux que d’être associés aux projets d’avenir de leur
entreprise et à l’enrichissement de leurs propriétaires, comme ce
fut le cas pour la famille Chagnon. Mais la question reste : le
voulez-vous ?
Un conflit qui fait honte au Québec
Les représentants de Quebecor ne cessent de clamer que les
décisions qu’ils ont prises de vendre leurs employés et d’utiliser
des briseurs de grève sont parfaitement légales. À supposer que ce
soit le cas, ces décisions ne sont pas pour autant légitimes ou
morales. Elles remettent en question les fondements de la paix
industrielle que connaît le Québec depuis 25 ans. Et cela, selon
toute apparence, avec la complicité muette du bras financier de
l’État québécois, la Caisse de Dépôt et de Placement, l’institution
qui gère nos épargnes collectives, qui s’est embarquée dans
l’aventure de Quebecor Media en y investissant près de 3 milliards
de nos dollars.
Toutes les ouvertures faites par les syndiqués à l’occasion de la
médiation du juge Alan B. Gold, ouvertures visant notamment les
conditions de travail des employés des services techniques, sont
restées sans écho. Vos représentants continuent à afficher la même
intransigeance. Les employés désespèrent d’en arriver un jour à un
règlement raisonnable et certains, comme le déplore avec justesse
Pierre Bourgault, commencent à croire qu’ils n’ont plus rien à
perdre.
Vous avez entièrement raison, Monsieur Neveu : il est urgent
d’ouvrir un dialogue constructif entre la nouvelle direction de
Vidéotron et ses 2 200 employés pour regarder en avant et bâtir
l’avenir ensemble. Mus par cette volonté, il suffirait de quelques
jours pour mettre un terme à un conflit qui fait honte à toute la
société québécoise.
Ainsi, si vous permettez que nous vous paraphrasions, nous
sauverons l’entreprise et les emplois de ceux qui comptent sur elle
pour assurer leur avenir et celui de leurs familles.
Pierre Dupuis
Directeur québécois
Syndicat canadien de la fonction publique
Michel Parenteau
Conseiller syndical
Denis Plante
Conseiller syndical
Gilles Dubé, président, SCFP 1417
Yves Lalonde,président, SCFP 2815
/jb
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