La Régie conclut qu’elle n’a pas juridiction, le débat va se poursuivre devant le Tribunal administratif du Québec
4 avril 2008
Nouvel épisode dans la controverse entourant
les salons de poker dans les casinos du Québec. Dans une décision
qui vient dêtre rendue, la Régie des alcools, des courses et des
jeux estime que la décision dinterdire ou dempêcher lutilisation
des appareils de poker Texas HoldEM ne relève pas de sa
compétence. Du côté des croupiers des trois casinos, on considère
plutôt que la Régie abdique son rôle, qui est de sassurer du bon
déroulement, conformément à la Loi, des activités de jeu sur le
territoire du Québec.
Le porte-parole des croupiers, Jean-Pierre Proulx, explique que le
dossier va maintenant se transporter au Tribunal administratif du
Québec (TAQ). «Nous allons
demander au TAQ de rappeler la Régie à lordre. Ce que la Régie
nous dit en 15 pages, cest que la réponse quelle nous a faite le
4 février de ne pas nous entendre, cest une décision. Ensuite, la
Régie ajoute que cette même décision nen est pas une. Pourquoi?
Pour ne pas avoir à la réviser. Cest un peu comme si la Régie
invoquait sa propre turpitude. Cest cela que nous allons expliquer
au TAQ.»
Jean-Pierre Proulx a limpression que la Régie
tente de noyer le poisson. «Si
nous navons pas raison aux yeux de la loi, que la Régie nous
entende, quelle rende une décision et laffaire va être close. La
plus élémentaire justice aurait été de nous entendre, non? Dautant
plus quun porte-parole officiel de la Régie a donné des entrevues
aux médias dans lesquelles il certifiait que nous allions être
entendus. A-t-il sciemment berné les médias? Pourquoi ce revirement
soudain de la Régie?, questionne Jean-Pierre Proulx.
Pour sa part, lavocat qui représente les croupiers, Me Yves Morin,
précise quau débat sur les salons de poker, sajoute maintenant un
autre débat, soit celui du rôle de la Régie elle-même. «Le rôle confié à la Régie est entre autres
de se porter garante du bon déroulement, dans le respect des lois,
des activités de jeux sur le territoire du Québec. Dans cette
affaire, en plus de se comporter très bizarrement par ses silences,
ses absences de réponse, la Régie abdique son rôle. Le problème qui
est en cause est bien sûr celui des croupiers. Mais, ce pourrait
être aussi le problème de tout citoyen qui signalera un problème à
la Régie et qui voudra se faire entendre. Au fond, si la Régie ne
répond ou ne se prononce pas sur ce quon lui soumet, à quoi
sert-elle?»
La controverse
Le 7 décembre 2007, les
trois syndicats FTQ représentant les quelque 1450 croupiers des
casinos de Montréal, du Lac-Leamy et de Charlevoix déposent une
plainte à la Régie sur la légalité des appareils que la Société des
casinos veut implanter. À ce moment-là, les croupiers savent déjà
que la Société envisage louverture des salons de poker pour le 18
janvier.
La plainte déposée vise les «appareils de type Texas HoldEM fabriqués
par la compagnie Poker Tek». Pour les syndicats,
lintroduction de ces tables électroniques est «totalement illégale et va à lencontre, non
seulement du Règlement sur les jeux de casino (c.S-13.1, r.1.01),
mais également à lencontre du projet damendement de ce règlement
qui fut publié dans la Gazette officielle du Québec». On
estime que, pour quun salon de poker soit conforme à la loi, entre
autres choses, les cartes doivent être distribuées par une
personne. Au Québec, lutilisation de machines à sous est encadrée
légalement. Dans ce cas, le résultat dun jeu sur une machine à
sous doit reposer sur le hasard, même lorsque le joueur peut faire
des choix, ce qui nest pas le cas avec les tables électroniques de
poker. Il y a donc une importante distinction à faire entre machine
à sous et une table de poker électronique.
Le 3 janvier 2008, les
avocats des croupiers font une seconde intervention auprès de la
Régie.
Dès le 10 janvier, les
croupiers décident de dénoncer la situation sur la place publique
et dans les médias. Le même jour, sur les ondes du poste de radio
104,7 FM de Gatineau, Réjean Thériault, un porte-parole de la
Régie, confirme les interventions de croupiers auprès de son
organisme et commente sur la légalité ou non des salons de poker.
Il déclare que, « si jamais elles [les machines] étaient utilisées,
à ce moment-là, la plainte des croupiers, peu importe doù elle
vient, on va effectivement enquêter si la machine est légale ou pas
».
Le 14 janvier, devant
linaction de la Régie et limminence de louverture des salons de
poker, les procureurs des croupiers déposent une requête à la Régie
pour en empêcher louverture dans les trois casinos. La requête
sapparente à une procédure dinjonction. La Régie reste muette.
Le 17 janvier, dans un
communiqué de presse, la Société des casinos annonce que les trois
casinos offriront aux amateurs de poker «des machines à sous de poker Texas
Hold’em». Jusque-là personne, ni même la Société, navait
pensé désigner les tables de poker électronique comme des machines
à sous
On saperçoit alors que la Société a fait disparaître de son site
Internet toutes les références aux «salons de poker» (qui nécessitent la
présence des croupiers alors que ce nest pas le cas des machines à
sous). Radio-Canada en fera dailleurs un excellent résumé dans sa
section Nouvelles-Web
(www.radio-canada.ca/nouvelles/surLeWeb/2008/01/17/index.shtml). On
y apprend, entre autres, que la page du site de la Société des
casinos faisait toujours référence aux salons de poker le 15
janvier. Ces mentions ont donc été effacées entre le 15 et le 17,
moment où les tables électroniques de poker deviennent soudainement
des «machines à sous de
poker».
Pour le porte-parole des croupiers, Jean-Pierre Proulx, louverture
de salons de poker avec les machines électroniques Texas HoldEM
est non seulement illégale mais contraire au mandat de la Société
des casinos, ce qui nest pas sans conséquence pour une région
comme Charlevoix durement affectée par les pertes demploi.
Sur son site Internet, la Société des casinos rappelle ainsi le
mandat quelle a reçu du gouvernement: «La Société des casinos du Québec a pour
mandat de procéder à limplantation de casinos au Québec et den
assurer la gestion. Les objectifs poursuivis par le gouvernement
sont principalement de créer des emplois, de doter le Québec
déquipements touristiques supplémentaires de classe
internationale, de générer une source additionnelle de revenus pour
l’État et, enfin, de récupérer des sommes importantes jouées par
les Québécois dans les casinos à létranger.»
En ouvrant ses salons de poker, les casinos tentent de créer une
situation de fait accompli. La Régie, dont un porte-parole avait
annoncé la tenue dune enquête, ne fait toujours rien. Aucune
réponse, aucune communication avec les procureurs des croupiers.
Les 24 et 25 janvier,
devant ce fait accompli et labsence de réponse de la Régie, les
avocats des croupiers font signifier une Requête introductive
d’instance en Mandamus à la Régie ainsi quaux casinos de Montréal,
du Lac-Leamy et de Charlevoix. Présentée en Cour supérieure, la
requête demande dordonner à la Régie de convoquer les croupiers
pour quils puissent se faire entendre, et à la Régie, de statuer
sur les plaintes et la demande dordonnance de sauvegarde déjà
déposées.
Le 4 février, pour une
première fois la Régie répond par écrit aux trois syndicats.
Toutefois, contrairement aux déclarations faites par son
porte-parole aux médias le 10 janvier, la Régie répond
laconiquement quelle « nentend pas conduire une enquête en vertu
de larticle 71 de la Loi sur les loteries, les concours
publicitaires et les appareils damusement ». La Régie reste
toutefois muette sur les plaintes déposées en vertu des articles 28
et 34 de la Loi sur la Régie des alcools, des courses et des jeux.
Le 11 février, les
procureurs syndicaux demandent par écrit à la Régie de se prononcer
sur les plaintes portées par les croupiers en vertu de la Loi sur
la Régie des alcools, des courses et des jeux.
Le 22 février, malgré son
refus du 4 février, la Régie écrit au procureur des syndicats pour
les convoquer à une audience à se ternir le 7 mars.
Le 7 mars, la Régie tient
une audience à Montréal. Une des questions importantes débattues
cette journée-là consiste à savoir si la réponse envoyée par la
Régie le 4 février, sans avoir dabord entendu les croupiers,
constitue ou non une décision.
Le 27 mars, la Régie rend
une décision dans laquelle elle estime quelle na pas compétence.
La Régie écrit que «pour donner
une réponse ou faire part à quelquun de ses intentions, il faut
inévitablement avoir pris une décision au préalable». Elle
précise immédiatement que cette qualification de «décision» nen fait pas pour autant
une décision au sens de larticle 37 de la LRACJ. Si cette
«décision» en avait été
une, la Régie en vertu de larticle 37 aurait pu la réviser ou la
révoquer (page 5 de la décision 15-0000007 de la RACJ, 27 mars
2008).
Les croupiers
Rappelons que les syndicats des croupiers SCFP et TUAC affiliés à
la FTQ, représentent quelque 1450 croupiers et que 550 autres
employés des casinos de Montréal, du Lac-Leamy et de Charlevoix
sont aussi membres de la FTQ.