Les partenariats public-privé se sont multipliés au Québec depuis 2005
7 octobre 2008
Larrivée au pouvoir des libéraux
de Jean Charest et la création de lAgence des partenariats
public-privé par son gouvernement en 2005 ont pavé la voie au
recours de plus en plus fréquent aux partenariats public-privé
(PPP). Où en sont aujourdhui ces fameux projets de PPP au Québec?
Dans le texte qui suit, le SCFP-Québec présente un état des
lieux.
Cest lUniversité du Québec à Rimouski (UQAR) qui a ouvert le bal
avec son campus de Lévis financé, construit et exploité par la
société AMT, le bras financier de la famille Tanguay. Il a couté 27
millions de dollars et a ouvert ses portes aux étudiants à
lautomne 2007. Ce PPP est le premier du genre au Canada et au
Québec. La direction de luniversité et lAgence des PPP le
décrivent comme un grand succès. Le gouvernement du Québec a
toutefois accepté de payer un taux dintérêt de plus de 6 pour
cent, même sil finançait alors ses opérations habituelles à même
des revenus dobligations libellées à 2,75 pour cent.
Le campus de Lévis de lUQAR semble,
désormais, servir de modèle dans le secteur universitaire.
LUniversité du Québec en Outaouais a en effet choisi le même mode
de financement pour son pavillon de St-Jérôme, dont la construction
vient de commencer et qui ouvrira ses portes lan prochain. En
fait, peu après léclatement du scandale de lîlot Voyageur, les
recteurs de nos universités se sont entendus avec le ministère de
léducation afin que tous leurs projets futurs soient soumis à
lAgence des PPP.
Les projets du Centre hospitalier universitaire de Québec, du
Centre de santé McGill et du Centre hospitalier de lUniversité de
Montréal, qui totalisent près de 3 milliards de dollars, occupent
le premier plan dans le secteur de la santé.
Dans le secteur des transports, deux projets sont en cours de
réalisation en mode PPP. Il y a bien sûr le projet du pont de
lautoroute 25, confié à un consortium contrôlé par une banque
australienne. Laffaire est devant les tribunaux, mais il semble
que les promoteurs ne sen soucient guère, les travaux ayant
commencé malgré tout. Les affirmations contradictoires saccumulent
dans ce dossier. Le président de lAgence des PPP, Pierre Lefebvre,
soutient quon y réalisera 100 millions de dollars déconomies. Le
professeur Pierre Hamel, de lINRS, rétorque quau mieux, on ne
réalisera aucune économie. Entre temps, les gouvernements du Québec
et du Canada ont conclu une entente pour confier la construction et
lexploitation dune portion de lautoroute 30 en partenariat
public-privé. Cest un groupe espagnol qui a remporté la mise cette
fois-ci, démontrant une fois de plus que les entreprises locales
sont rarement retenues dans les projets de PPP.
Le secteur des transports en commun a vu naître ses premiers
projets également. LAgence métropolitaine de transport a en effet
confié à la multinationale Transdev-Limocar lexploitation de deux
circuits express entre Vaudreuil et le centre-ville et entre la
rive sud, lîle des Surs et le campus Bell. Le syndicat des
chauffeurs dautobus et opérateurs de métro proteste vivement
contre ces projets largement subventionnés qui feraient concurrence
au service public. À la suite de pressions combinées des élus de
Communauté métropolitaine de Montréal et du président de la FTQ, à
la demande expresse du SCFP-Québec, la ministre des transports,
Julie Boulet, a imposé un moratoire sur lexécution de ces
contrats, en attendant quune solution soit trouvée.
Autre grand projet de lAgence des partenariats public-privé: la
salle de concert de lOrchestre symphonique de Montréal. Le coût
est passé de 105 à 266 millions au cours des derniers mois. Comme
quoi ce genre de projet est exposé aux mêmes risques et dépassement
que les projets publics. Et cest encore le contribuable qui,
ultimement, paiera.
Ladministration de la justice nest pas épargnée par le mouvement
de privatisation. Québec a choisi de confier la rénovation et
lagrandissement de deux palais de justice, ceux de Rimouski et de
Valleyfield, en PPP à un groupe privé. On peut supposer que
dautres projets du genre suivront.
Les municipalités québécoises sont montées dans le train des
privatisations il y déjà un bon bout de temps, bien avant que le
terme «partenariat public-privé» ne devienne courant. Les nombreux
équipements sportifs confiés à des organisations sans but lucratif
illustre bien la tendance. Le financement privé sest ajouté à
cette structure au cours des dernières années.
Les douze derniers mois ont par ailleurs été marqués par une
reprise de la réplique syndicale au discours favorisant les
privatisations et les partenariats public-privé. Dès novembre 2007,
le président de la FTQ, Henri Massé, signait une lettre publiée par
Le Devoir, accompagnée
dun texte de Kathleen Lévesque. Henri Massé y soulevait des
questions importantes au sujet de la réelle concurrence existant
entre les consortiums dont les propositions ont été retenues pour
les projets du CHUM et du CUSM.
Dès que nous avons été informés du fait que le projet du CHUQ à
Québec serait confié à lAgence des partenariats public-privé, nous
avons publié une longue lettre dans les quotidiens de la ville pour
dénoncer cette décision. Nous avons eu ensuite lopportunité
détayer notre point de vue dans quelques entrevues radiophoniques.
Quelques mois plus tard, le directeur général de létablissement
prenait position contre la formule PPP, ce qui nous a amené à
intervenir publiquement pour donner notre appui au directeur. Notre
lettre a de nouveau été publiée par les quotidiens de la ville,
avec en tête le MédiaMatinQuébec. Malheureusement, les
pressions du gouvernement Charest lont fait céder et il a dû se
résoudre à accepter la formule PPP pour ce projet de 600 millions
de dollars.
Dans le cas du CHUQ, le SCFP a été informé de la décision de son
conseil bien avant sa publication, ainsi
nous avons choisi de placer ses membres devant leurs
contradictions, le jour même de lassemblée convoquée pour
entériner le projet, avec la présence très appréciée de Doug Allen.
Nous avons de cette façon réalisé deux objectifs: annoncer
publiquement et à notre façon la décision attendue du conseil et
ce, avant même quelle ne soit entérinée, afin de générer une foule
de questions pour les journalistes qui assistaient le soir même à
lassemblée publique du conseil. Nous avons été invités à
rencontrer les représentants du Parti Québécois au sujet de ce
projet, de même que ceux de lAction démocratique de Mario Dumont.
Il en faudrait toutefois bien plus pour infléchir un gouvernement
qui favorise limmixtion du secteur privé dans presque tous les
secteurs dactivités. Lentente conclue avec la clinique Rockland
et les projets de clinique ophtalmologique et dhôpital privé
complémentaire autour du futur CHUM illustrent bien lopiniâtreté
de notre gouvernement. Rappelons-nous la manuvre du ministre de la
santé, qui a rejeté les propositions les plus volontairement
provocatrices du rapport Castonguay mais sest empressé dappliquer
les recommandations les plus importantes et les plus favorables au
secteur privé. Nous savons tous également que le ministre Philippe
Couillard sest empressé de passer au secteur privé à peine un mois
après sa démission.
Une des recommandations du rapport Castonguay prônait la
privatisation de tous les services dhébergement des personnes
âgées. Sans privatiser directement les centres existants, Québec
sengage malgré tout sur la voie suggérée par le rapport. Un appel
de propositions a été lancé cet été pour la création de 200 places
dhébergement dans la région de la Montérégie. Presque
simultanément, Québec annonçait la fermeture du CHSLD Jacques-Viger
sur lîle de Montréal. Dautres fermetures sont à prévoir et il
semble bien que toutes les nouvelles places pour lhébergement des
personnes âgées seront désormais fournies par le secteur privé. Nos
membres dans le secteur de la santé sont fortement mobilisés contre
ce mouvement. En coulisse, la résistance des dirigeants du Conseil
provincial des affaires sociales (CPAS) à légard des projets de
centres dhébergement privés est ferme.
Un épisode amusant a marqué la publication dun sondage de
lInstitut des partenariats public-privé en novembre 2007: nous
avons assisté à la conférence de presse annonçant la publication
des résultats qui démontreraient que les Québécois sont en faveur
de la formule PPP. Dès la clôture de la conférence de presse, nous
répondions aux interrogations des journalistes. Quelques heures
plus tard, après une nouvelle analyse des résultats,
nous avons publié nos conclusions, en contradiction complète avec
celles de lInstitut. Peut-être en raison de résultats
contradictoires, la presse écrite et radiophonique na presque rien
publié ou diffusé. Le seul reportage télé a quant à lui fait une
large place à notre réplique.
Pendant ce temps, sur la scène municipale, les déboires du Centre
sportif en PPP de Sherbrooke se sont poursuivis, qui selon nos
sources, pourraient bien se retrouver devant les tribunaux. Lhiver
dernier, le toit de lédifice a fléchi sous le poids de la neige et
de la glace et leau sest mise à couler sur la patinoire. Nous
avons bien sûr profité de loccasion pour relancer un débat public
sur la pertinence des PPP. Sherbrooke est une ville-laboratoire
pour les PPP au Québec.
On y trouve un centre culturel et un centre multisports construits
en PPP. Nous y avons mené une campagne coup-de-poing dans les
journaux par lettres et publicités au cours de lautomne et
jusquen janvier avec pour thème : pourquoi le maire Perrault
brade-t-il nos services publics? Jean Perrault est aussi président
de la Fédération canadienne des municipalités.
La Ville de Châteauguay, autre laboratoire de PPP québécois, a
lancé elle aussi un appel de propositions pour la construction dun
centre multisports en partenariat public-privé. Malgré la présence
initiale de gros noms comme Dessau-Soprin parmi les
soumissionnaires, le conseil municipal a choisi encore une fois un
entrepreneur local pour la construction du complexe. Le dépôt de
griefs contre la décision de la Ville a modifié profondément la
chaîne des événements planifiée par le directeur-général.
Lentrepreneur étant désormais seul sur la liste des
soumissionnaires, la Ville en a profité pour modifier les
paramètres du projet afin de confier la propriété du centre à un
organisme sans but lucratif, comme dans plusieurs autres
municipalités où de nouveaux centres du même genre ont vu le jour
ces dernières années. Le grief devrait être entendu au cours des
prochains mois. Nous déciderons de la marche à suivre après avoir
reçu la décision de larbitre. Nous attendons par ailleurs les
fonds nécessaires à la réalisation dune étude sur les recours
juridiques qui pourraient exister contre lusage des organismes
sans but lucratif dans le but dempêcher la syndicalisation en
milieu municipal.
Au printemps dernier, la Ville de St-Jean-sur-Richelieu renonçait à
construire son nouveau centre sportif en formule PPP. Une longue
conversation avec le responsable municipal nous a permis
dapprendre que la Ville avait réalisé une comparaison très
pointilleuse du coût réel dun partenariat public-privé et de la
formule conventionnelle. La Ville sest ainsi rendu compte que le
financement du projet coûterait exactement deux fois plus cher si
le centre était construit en partenariat public-privé. Elle lancera
un nouvel appel doffres incessamment.
À Montréal, le débat autour du premier partenariat public-privé
pour la gestion de leau se prépare. Les contrats totalisent près
de 450 millions de dollars et la firme Géniau aura bien trop
dinformations et de compétences stratégiques en main au terme du
contrat. Le risque dune mainmise graduelle du privé sur le système
de distribution deau à Montréal demeure. La Coalition Eau secours
a récemment accepté de mener une campagne en collaboration avec le
SCFP-Québec pour une révision de ces contrats. Les lendemains de
lannonce de loctroi de ces contrats ont par ailleurs permis au
cols bleus montréalais dexiger ladoption de règles sévères contre
le passage de haut-fonctionnaires municipaux au privé peu de temps
après la conclusion de contrats avec leur éventuelle compagnie
dadoption. Dans une lettre ouverte au Devoir, nous avons dénoncé
le geste du responsable du dossier de leau à Montréal, qui est
désormais un employé dune firme associée à Géniau.
En décembre 2007, nous avons lancé
une campagne avec panneaux publicitaires sur tous les grands axes
routiers du Québec avec pour thème Partenariat public-privé=piège à
contribuables. Cette campagne est accompagnée dun site
internet explicatif sur les dessous des partenariats public-privé.
NONAUXPPP.COM veut atteindre le grand public et lui fournir des
arguments pour dire NON à leurs maires ou députés.
Des messages publicitaires radio de 30 et 60 secondes, en anglais
et en français, ont été diffusés aux heures de grande écoute. La
notoriété de cette campagne et lexplosion des coûts du projet de
PPP pour la salle de concert destinée à lOrchestre symphonique de
Montréal ont amené la radio de Radio-Canada à consacrer une
émission dune heure à la problématique des partenariats
public-privé. Nous avons été les premiers à répliquer aux
exagérations du président de lAgence des partenariats
public-privé.
Et puis, il y a quelques semaines, nous apprenions que le Parti
Québécois soppose désormais à la formule PPP pour les projets du
CHUM et du CUSM. Quun parti politique majeur au Québec élève enfin
la voix sur cette question, cest une petite victoire.
Tout ce travail saccompagne de visites en région pour y présenter
des séances dinformations sur les PPP à la demande de nos
syndicats locaux. Des ateliers se sont aussi tenus à Montréal,
Drummondville, Sherbrooke et Québec. Nous souhaitons que la liste
sallonge.