Le lock-out au Journal de Québec dure maintenant depuis 10 mois
20 février 2008
Le vendredi 22 février, le conflit de travail
au Journal de Québec
entrera dans son onzième mois. Aucune reprise des pourparlers entre
les parties nest envisagée pour le moment par le conciliateur
nommé par le ministère du Travail. Le 2 mars, le lock-out au
Journal de Québec
deviendra aussi le plus long conflit à survenir dans un quotidien
francophone au Canada, dépassant en durée celui du Soleil en 1997-1978.
Dautre part, le MédiaMatinQuébec publie aujourdhui
son 200e numéro. Le quotidien gratuit distribué à 40,000
exemplaires par les syndiqués est le principal moyen de pression
des travailleurs.
Selon le porte-parole des 252 travailleurs du
Journal de Québec, Denis Bolduc, ce moyen de pression pourrait
prendre encore plus dampleur. «Nous examinons présentement plusieurs
scénarios. Compte tenu de lintérêt toujours grandissant du public
pour notre quotidien, je ne vous cache pas que nous examinons
présentement plusieurs possibilités comme laugmentation du tirage
ou encore lajout de nouveaux points de distribution. Dailleurs,
notre publication régulière est de 24 pages, mais dans les derniers
mois, souvent nous avons eu des éditions de 28, 32 et même 36
pages.»
Les employés de bureau et de la rédaction du Journal de Québec sont
sous le coup dun lock-out décrété par lemployeur le 22 avril.
Avant le déclenchement du lock-out, aucun des trois syndicats
navait demandé de mandat de grève à ses membres ni même exercé de
moyens de pression. En solidarité avec leurs collègues jetés sur le
trottoir par la décision de Quebecor/Sun Media, les employés de
limprimerie ont voté la grève à 97%.
Lock-out pardessus
lock-out
La méthode forte, celle qui consiste à mettre ses employés à la rue
pour forcer des concessions, est une habitude pour Quebecor Media.
Dans les dix dernières années, soit depuis le décès du fondateur
Pierre Péladeau père, lentreprise a mis ses employés syndiqués en
lock-out à neuf reprises.
Par comparaison, on peut se demander combien de lock-out ont eu
lieu du temps où le père Péladeau était toujours vivant. Réponse:
de 1987 à 1997, soit pendant les dix dernières années de sa vie,
trois lock-out ont été décrétés et tous au Journal de Montréal en 1993-1994. Qui
menait les négociations patronales au Journal de Montréal à cette époque?
Pierre-Karl Péladeau, lactuel président de Quebecor.
Voici la liste des lock-out survenus dans lempire Quebecor dans
les 15 dernières années et qui portent tous la même signature.
Journal de Montréal
(Préparation)
19 septembre au 6 février 1994
Journal de Montréal
(Pressiers)
11 octobre 1993 au 8 mars 1994
Journal de Montréal (encarteurs, expédition, deux
accréditations)
11 octobre 1993 au 17 mars 1994*
Vidéotron Télécomm 78 jours 112 travailleurs
30 avril au 16 juillet 2002
Vidéotron Montréal* 360 jours 1800 travailleurs
8 mai 2002 au 2 mai 2003
Vidéotron Québec* 360 jours 313 travailleurs
8 mai 2002 au 2 mai 2003
Groupe TVA Montréal* 7 jours 7 travailleurs
3 au 9 juillet 2003
Groupe TVA Estrie 67 jours 6 travailleurs
30 janvier au 5 avril 2004
Journal de Montréal
(Vendeurs) 36 jours 44 travailleurs
9 février au 15 mars 2004
Journal de Montréal
(Pressiers)** 114 jours Plus de 100 travailleurs
22 octobre 2006 au 12 février 2007
Journal de Québec (Bureau)
? jours 68 travailleurs
22 avril 2007 à ce jour
Journal de Québec
(Rédaction) ? jours 69 travailleurs
22 avril 2007 à ce jour
* Lock-out et grève
** Lock-out déclaré illégal par le tribunal
La gestion par le conflit
Cette agressivité administrative ne semble pas viser uniquement les
groupes syndiqués. Le style de direction de Pierre-Karl Péladeau
fait régulièrement lobjet de remarques peu élogieuses dans les
médias.
À titre dexemple, lors des récents déboires de Quebecor World
(QW), on pouvait lire dans le quotidien financier et économique
britannique, Financial
Times (FT), que la façon de gréer de Pierre-Karl Péladeau
avait souvent été citée comme une des sources des problèmes de QW.
Le FT rappelait aussi que QW avait eu six PDG en 10 ans.
(«But Mr Peladeau’s headstrong
management style is often blamed for contributing to Quebecor
World’s troubles. The company has had six chief executives over the
past ten years.» Financial Times London Ed1COMPANIES –
INTERNATIONAL, Tuesday, January 22, 2008, p. Page 25)
Dans un autre article, le FT citait un dirigeant dune compagnie de
câblodistribution qui mentionnait que la devise de Pierre-Karl
Péladeau semble être «Mettez à
porte tous ceux qui ont de lexpérience.» («But Pierre-Karl’s tenure has been marked by
a succession of upheavals. The respected head of one cable-TV
operator acquired by Quebecor remarked that Pierre-Karl’s motto
seemed to be: « Fire all those who have experience. » Indeed, the
printing group has run through six chief executives in 10
years.» Financial Times Asia Ed1 OBSERVER, Tuesday, January
22, 2008, p. Page 10)
Plus près de nous, le Toronto
Star écrivait que Quebecor est une «porte tournante pour des PDG de talent qui
perdent la faveur de PKP». («The problems here are entirely familial.
Quebecor is famously a revolving door of talented executives who
have fallen out of favour with « PK » Pierre Karl Peladeau.»
Site Internet Toronto Star,
http://www.thestar.com/columnists/article/297934)
Ces prises de position extrêmes ne surviennent pas uniquement
envers ses employés. On se rappellera que lan dernier, lattitude
de Quebecor dans le dossier du Fonds canadien de télévision (ou
fonds des câblos) avait soulevé la colère dà peu près tous les
acteurs du domaine de la production télévisuelle. À la suite de
cette controverse publique, Quebecor a intenté une poursuite de
deux millions de dollars à lendroit dun patron de Radio-Canada
qui avait qualifié ce comportement «de voyou».
Rappel du conflit
Depuis la fondation du Journal de
Québec en 1967, aucun conflit de travail navait eu lieu. Il
y a environ deux ans, tous les employés syndiqués du Journal
avaient accepté de reconduire la convention collective pour un an
en partenariat avec lemployeur pour mieux le concurrencer son
concurrent, Le Soleil, qui
passait au format tabloïd.
Depuis le 24 avril 2007, les employés en conflit publient et
distribuent cinq jours semaine le MédiaMatinQuébec, un quotidien
gratuit, pour rappeler leur cause à la population de Québec.
Quebecor/Corporation Sun Media a entrepris plusieurs recours
judiciaires pour empêcher la publication du MédiaMatinQuébec. Toutes ces démarches
ont échoué.
Malgré le conflit, le Journal de
Québec continue dêtre publié. Il est imprimé principalement
à Mirabel. Dans une décision rendue le 23 août 2007, en application
de larticle 109 du Code du
travail (dispositions anti-scabs), la Commission des
relations du travail (CRT) du Québec a ordonné à la direction du
Journal de Québec de
cesser de recourir aux services de quatre personnes qui
remplissaient les fonctions de salariés en conflit. De nouvelles
plaintes concernant lutilisation de travailleurs illégaux ont été
déposées par les syndicats en octobre et novembre 2007. Au total,
ces plaintes visent 17 personnes. Des audiences de la CRT sur ces
plaintes ont eu lieu les 14 et 28 janvier. Elles se poursuivront
les 12 et 14 mars. Lors des premières audiences, le rédacteur en
chef du Journal de Québec,
Serge Gosselin, a déclaré sous serment quil nestimait
«pas pertinent» pour lui
de savoir qui sont les auteurs des articles provenant de Canoë et
qui sont publiés dans son quotidien en lock-out.
Dautre part, le 5 février, le Journal de Québec, le portail Internet
Canoë et le journaliste de Canoë Hubert Lapointe ont plaidé
non-coupables à des accusations criminelles pour avoir, lété
dernier, divulgué le nom dune victime dagression sexuelle malgré
une ordonnance de non-publication de la Cour. Cette affaire
reviendra devant le tribunal le 15 avril. Hubert Lapointe est lune
des 17 personnes visées par les plaintes sur lemploi de
scabs.