Le CRTC a choisi la solution du faible
1 février 2005
Les employés de CKAC s’étaient préparés à la
décision rendue par le Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes (CRTC) le 21 janvier. Durant les
audiences de septembre, les commissaires semblaient profondément
lassés d’entendre, pour la énième fois en quelques années,
d’interminables présentations au sujet de CKAC et des stations
régionales du réseau Radiomédia.
L’apocalypse annoncée par le fiduciaire aura été pour ces derniers
un motif sur mesure pour bâcler l’affaire et envoyer aux ornières
une institution toujours populaire et vieille de 80 ans. Prédisons
d’emblée que la vieille dame de la rue Peel ne survivra pas
longtemps à cette marginalisation. Nous avons tous compris chez
nous que le créneau «santé» proposé pour CKAC serait constitué pour
l’essentiel de pseudo tribunes téléphoniques tenues par des
fabricants de pilules et autres suppléments alimentaires. Les
dirigeants de Corus Québec, Pierre Arcand en tête, ont déjà
appliqué la recette à CKVL, dans les mois qui ont précédé sa
fermeture. Quant au créneau «sport», dans une ville qui ne réussit
pas à faire vivre une équipe de baseball et se fait retirer les
championnats du monde de sports aquatiques, son succès semble plus
qu’incertain.
La plus grave conséquence de cette décision
bancale sera toutefois la fermeture de la salle des nouvelles de
CKAC, une des plus importantes au Québec. Elle est formée de 17
journalistes et constitue une des rares voix distinctes et
indépendantes qui subsistent encore dans l’univers médiatique
québécois. Le CRTC prétend que cette source indépendante
d’information sera remplacée par Info-690 et les quelques autres
journalistes de Corus Nouvelles, une organisation qui doit être
créée. Encore faudrait-il qu’il s’agisse d’organisations
équivalentes… et qu’Info-690 soit assurée de survivre.
Les informations que diffuse Info-690 sont constituées à 70% de
matériel provenant de la Presse canadienne, par l’entremise de sa
filiale radio, Nouvelles Télé-Radio (NTR). Il n’y a jamais qu’un
seul journaliste d’Info-690 sur le terrain pour couvrir ce qui se
passe à Montréal, seule zone couverte par cette station. Le
syndicat général de la Radio (CSN), représentant entre autres les
journalistes d’Info-690, ne s’est d’ailleurs pas gêné pour le
souligner dans son mémoire auprès du CRTC: «Compte tenu de la
quantité d’informations et d’événements à couvrir dans le Grand
Montréal, le Syndicat général de la radio (CSN-CINF-CKOI) croit que
les effectifs journalistiques dont dispose actuellement Info-690
sont insuffisants pour assurer le droit du public à
l’information.»
Marginalisation
Depuis ses débuts, les cotes d’écoute d’Info-690 sont anémiques et
la marginalisation de CKAC, qui attire encore plus de 500,000
personnes chaque jour sur la bande AM, réduira d’avantage
l’achalandage sur cette bande. On voit mal comment Corus pourrait
conserver encore longtemps cette station qui enregistre des pertes
au quotidien. De toute façon, dira-t-on à terme devant le CRTC, il
y a si peu de différence entre 70 et 100% de Presse canadienne?
Par comparaison, CKAC produit toute son information, y compris son
information internationale, et n’est pas abonnée à la presse
canadienne. Au moins quatre reporters couvrent les événements
montréalais chaque jour. Nous avons des correspondants à Québec et
Ottawa et des pigistes nous alimentent dans plusieurs villes du
Québec et du reste du monde. Jusqu’à l’offensive de Corus, CKAC
était une station tout à fait rentable. L’arrivée du 98,5 et le
maraudage intensif d’animateurs et autres vendeurs de publicité a
nui considérablement à la station de la rue Peel. Malgré cela,
500,000 personnes continuent d’écouter fidèlement notre station.
Tout se passe comme si Corus avait voulu transférer CKAC sur la
bande FM sans assumer la mission la plus importante et la plus
coûteuse de notre station: informer le public. Si au moins le CRTC
avait astreint Corus à bâtir un service d’information sérieux et
solide, le Québec perdrait moins. Le CRTC n’a imposé aucune
condition à ce chapitre. Il s’est contenté d’émettre des vux et de
souhaiter que la transaction tourne pour le mieux.
C’est bien peu pour un organisme réglementaire chargé entre autres
de s’assurer de la diversité des choix sur les ondes publiques.
Dans quelques mois, les francophones québécois auront moins de
sources indépendantes d’informations à la radio que les montréalais
anglophones. Les Québécois perdent dans leur ensemble un réseau
d’information privé qui desservait tout le Québec, de la Côte-Nord
à Gatineau. Et pourtant, la radio est omniprésente dans nos vies.
Le CRTC a tremblé devant le gouffre financier qu’on lui a décrit.
Pourtant, trois acheteurs potentiels assistaient aux audiences de
septembre et nous ont fait connaître leurs intentions. Un d’entre
eux a même demandé au CRTC de lui confier CKAC et le réseau
Radiomédia. C’est dire combien notre entreprise offre encore de
solides attraits, malgré des difficultés récentes et
conjoncturelles. Le CRTC a choisi la solution du faible. La Loi
canadienne sur la radiodiffusion permet au conseil des ministres de
ramener le CRTC à l’ordre. La ministre qui en est responsable, Liza
Frulla, est une ancienne directrice générale de CKAC. Elle comprend
certainement que le choix du CRTC est le pire qui pouvait être
fait.