Le cadre financier du gouvernement reflète surtout un manque de volonté de négocier
1 septembre 2005
Le texte qui suit a été écrit par
Monique Audet et Sylvie Vachon. Elles sont toutes deux économistes,
respectivement à la FTQ et à la CSN.
État précaire des finances publiques, portefeuille vide, coûts
exorbitants des services publics, demandes syndicales
déraisonnables. Tel est le leitmotiv du gouvernement Charest depuis
des semaines en réponse aux demandes syndicales des employé-es des
secteurs public et parapublic.
Certes, le discours n’est pas nouveau. Il a réussi à traverser
l’épreuve du temps depuis une vingtaine d’années en prenant tour à
tour différentes consonances. Ce qui le distingue aujourd’hui, ce
n’est pas le contenu, mais le ton et le caractère plutôt hâtif des
répliques tous azimuts des membres du cabinet.
Après avoir utilisé les arguments de la
récession, du déficit zéro, de l’urgence d’alléger le fardeau
fiscal des contribuables, aujourd’hui le gouvernement ajoute celui
de la précarité des finances publiques: il y aurait péril en la
demeure. Pourtant, sans nier que le Québec ne nage pas dans le
trèfle, nous pouvons prétendre à une situation avantageuse face aux
déficits énormes que connaissent l’Ontario, les États-Unis et
plusieurs pays européens.
Certains faits sont têtus
Ce gouvernement crie au loup chaque année depuis son élection. Le
budget 2005-2006 déposé en avril dernier par le ministre Michel
Audet atteint la cible du déficit zéro. Pourtant, dans les
prévisions contenues au budget précédent, on devait s’attendre à un
manque à gagner de 1,6 milliard de dollars, sans compter le coût
des négociations collectives. Alors, faut-il croire sur parole le
ministre quand il affirme à nouveau que le budget 2006-2007 se
soldera par un manque à gagner, cette fois de 773 millions de
dollars et qu’il ne peut sortir de son cadre financier?
En analysant le budget de près, on s’aperçoit que des marges de
manoeuvre ont été omises par le gouvernement du Québec par des
hypothèses économiques trop conservatrices, une mauvaise évaluation
des transferts fédéraux et une révision des anticipations.
Prenons l’exemple des prévisions de croissance économique. Le
gouvernement projette une croissance du produit intérieur brut
(PIB) nominal de 3,8% pour 2006 mais le mouvement Desjardins et la
Banque Nationale l’estiment plutôt à 5,5% et 4,5% respectivement.
Une marge de manoeuvre se dégagera sans doute de ces prévisions
conservatrices, sachant que chaque augmentation de 1% du PIB
procure 400 millions supplémentaires au gouvernement. S’y ajoutent
les 485 millions de ventes d’actifs prévues par le dernier budget
et les 705 millions mis à la disposition du Québec en fiducie par
le fédéral.
Les pourparlers à venir sur le déséquilibre fiscal, les demandes
d’augmentation de transferts aux provinces liées aux études
post-secondaires, les négociations entreprises par le Québec avec
le gouvernement fédéral sur la péréquation afin d’obtenir les mêmes
avantages que ceux obtenus par la Nouvelle-Écosse et
Terre-Neuve-et-Labrador (évalué à 400 millions pour le Québec),
ainsi que les nouvelles sommes qui seront dégagées pour les
provinces découlant des amendements au budget fédéral représentent
d’autres sources potentielles de revenus pour le Québec.
Par ailleurs, comment un gouvernement peut-il d’un côté dire que
les finances publiques sont précaires et du même coup garder le cap
sur des allégements fiscaux aux particuliers et aux entreprises, de
l’ordre de 2,1 milliards sur les deux prochaines années pour les
premiers et de 492 millions sur trois ans pour les seconds?
Moins de 15 dollars par semaine
Devant l’inflation verbale du gouvernement Charest, ramenons les
chiffres à leur juste proportion.
Les 12,6% offerts par le gouvernement sur six ans, on ne le dit pas
suffisamment, se décortiquent ainsi: 0% d’augmentation salariale
pour les deux premières années, 2% par année pour les quatre années
subséquentes. En bref, deux ans de gel salarial sur six. Les 4,6%
résiduels serviraient à payer tout le reste, y compris les
correctifs d’équité salariale.
Ce cadre financier s’appliquerait à l’ensemble des employés-es de
l’État: les employés-es syndiqués des secteurs de l’éducation, de
la santé et de la fonction publique, ceux des organismes
gouvernementaux ainsi que les juges, les médecins, les cadres, etc.
Pour les travailleurs syndiqués, cela signifie grosso modo quelque
730$ bruts par année en moyenne par personne ou 14 $ par semaine,
une somme qui est loin d’assurer le maintien du pouvoir d’achat. De
plus, une partie de ces sommes reviendra au gouvernement-employeur
par le truchement de l’impôt sur le revenu de ces travailleuses et
travailleurs.
Le gouvernement voudrait que nous prenions son cadre financier
comme une réalité objective qu’aucune personne » raisonnable »
n’oserait remettre en question. Pourtant, il dispose de marges de
manoeuvre qu’il peut utiliser dans les secteurs qu’il juge
prioritaires. Dans les faits, en martelant sur toutes les tribunes
qu’il ne dérogera pas de son cadre financier, le gouvernement lance
ce message à ses employés: en arriver à une entente négociée
satisfaisante pour les deux parties ne fait pas partie de ses
priorités.