Hausse des frais de scolarité: une mesure économiquement sensée?
21 mars 2012
Cette lettre
au sujet de la hausse des droits de scolarité a été signée par une
cinquantaine détudiants en économie, de même que par Pierre-Guy
Sylvestre, économiste et conseiller au SCFP.
Plus de 140,000 étudiants sont aujourdhui en grève et la hausse
des frais de scolarité de 1625$ est sur toutes les lèvres. En tant
quétudiants en économie et quéconomistes, nous remarquons que
plusieurs défenseurs de la hausse des frais de scolarité évoquent
des arguments économiques discutables pour justifier la hausse.
Étant formés précisément à lanalyse économique, statistique et à
lanalyse des politiques publiques, nous tenons à rectifier
certains de ces arguments.
On entend souvent que les frais de scolarité doivent augmenter
parce quils sont gelés depuis maintenant plusieurs années. Ainsi,
la hausse des frais permettrait un rattrapage par rapport au niveau
de 1968, en tenant comte de linflation. Nous ne souscrivons pas à
cet argument. Dabord, les frais de scolarité sont dégelés depuis
2007. Ensuite, les frais de scolarité ne représentent quun élément
de la facture totale. Il faut y ajouter les frais institutionnels
obligatoires, ce panier de frais administratifs, technologiques et
autres. Ces frais ont augmenté à une telle vitesse depuis le milieu
des années 90, malgré un prétendu «gel» des frais de scolarité, que
la facture étudiante moyenne a cru au rythme de linflation pendant
treize des dix-huit dernières années.
Il est donc erroné de parler de simple
«rattrapage». Même en se comparant au plus haut niveau de
tarification jamais enregistré dans lhistoire du Québec, soit
celui qui prévalait dans les années 60, cette hausse nous mène, si
lon prend en compte les frais institutionnels obligatoires, à un
record de tarification jamais égalé. Au demeurant, la décision de
choisir 1968 comme année de référence nous apparaît arbitraire.
On entend aussi fréquemment que la hausse naffectera pas
laccessibilité aux études supérieures puisquelle sera compensée
par une bonification du régime dAide financière aux études. Cela
est faux: le gouvernement noffre quaux étudiants ayant déjà
atteint le maximum admissible de bourses, soit environ 17% des
étudiants, une bourse supplémentaire de valeur égale au montant de
la hausse. Pour 83% des étudiants nayant pas accès à cette mesure,
soit la vaste majorité des étudiants, la hausse sera pigée
directement dans leurs poches souvent déjà vides. Bref, la mesure
de protection annoncée ne couvre quune fraction des étudiants, et
exclut demblée toute la classe moyenne. Résultat: la hausse
proposée, même en tenant compte de laide aux plus démunis,
entraînera une baisse estimée de la fréquentation universitaire de
5000 à 7000 étudiants.
En somme, les arguments économiques évoqués à lappui du projet de
hausse semblent enracinés dans la tradition dite néoclassique, un
courant de pensée économique dans lequel les considérations
déquité sont absentes et où les considérations defficience
prennent toute la place. Ainsi, de ce point de vue, une mesure sera
jugée efficiente du moment quelle maximise les revenus. Disons les
choses simplement: alors que la hausse permettra daugmenter un peu
le revenu des universités, soit denviron 150 millions de dollars
par année, elle se fera au détriment de la participation des
étudiants issus des milieux moins favorisés.
Aussi, si un étudiant est issu dun milieu moins favorisé et un
autre dun milieu aisé, est-il équitable que le premier débute sa
vie adulte avec une dette de 25,000$ alors quils ont tous deux le
même talent? En ce sens, laccessibilité aux études supérieures est
une condition sine qua non du respect du principe dégalité des
chances. Si lon tient ce principe en haute estime, il est logique
de sopposer à une telle mesure et de privilégier des formes de
financement progressives telles que limpôt sur le revenu.
Nous, étudiants déconomie et économistes, sommes donc fiers de
joindre nos voix à celles des milliers détudiants qui se battent
pour laccessibilité aux études supérieures et pour une société
plus juste.
Virgine Allard-Goyer, premier
cycle, Université Laval; Vincent Barbe Beauchemin, deuxième cycle,
UQAM; Évelyne Beaudin, deuxième cycle, Université de Sherbrooke;
Evans Beaulieu, deuxième cycle, Université Laval; Aghiles Belhadef,
premier cycle, UQAM; Thomas Booker, premier cycle, UQAM;
Louis-Philippe Boulianne, premier cycle, Université Laval;
Félix-Antoine Bouchard, premier cycle, UQAM; Pier-André Bouchard
St-Amant, troisième cycle, Université Queen’s; Minh Nhat Bui,
premier cycle, Université de Montréal; Sébastien Charron, premier
cycle, Université Laval; Hubert Chicoine, deuxième cycle, UQAM;
Cédric Côté, premier cycle, Université Laval; Aurélie Côté-Sergent,
premier cycle, UQAM; Alexandre Desmeules, deuxième cycle,
Université Laval; Nicolas Després, premier cycle, UQAM; Camille
Deteix, premier cycle, Université Laval; Moctar Diassiguy, deuxième
cycle, UQAM; Juliette Dubois, premier cycle, Université Laval;
Catherina Dumont, premier cycle, Université Laval; Flore Dupoux,
premier cycle, UQAM; Antoine Gagné, premier cycle, Université
Laval; Alexis Gauthier, premier cycle, Université Laval; Antoine
Genest-Grégoire, premier cycle, président de l’Association des
étudiants en sciences économiques de l’UQAM; Guillaume Germain,
deuxième cycle, UQAM; Pierre-Luc Germain, premier cycle, Université
Laval; Renaud Gignac, deuxième cycle, UQAM; Anthony Grillo, premier
cycle, UQAM; Lukas Jasmin-Tucci, premier cycle, UQAM; Louis-Maxime
Joly, premier cycle, UQAM; Alexis Lacombe, deuxième cycle,
Université de Sherbrooke; François Laliberté-Auger, deuxième cycle,
UQAM; Marie-Ève Lamoureux, deuxième cycle, Université de
Sherbrooke; Annabelle Lamy, premier cycle, UQAM; Étienne Lamy,
premier cycle, Université Laval; Dominique Lapointe, premier cycle,
UQAM; Hugo Leblond, premier cycle, Université Laval; Tommy
Lemieux-Cloutier, premier cycle, UQAM; Raphaël Liberge-Simard,
premier cycle, Université Laval; Philippe Alexandre Maltais Lajoie,
deuxième cycle, UQAM; Marc-Alain Marcotte, premier cycle,
Université Laval; Francis Melançon, premier cycle, UQAM; Simon
Mercille, premier cycle, Université Laval; Geneviève Morency,
deuxième cycle, UQAM; Kevin Morissette, premier cycle, Université
Laval; Elio Moussa, premier cycle, UQAM; Samuel Paré, premier
cycle, UQAM; Marc-André Pharand, premier cycle, Université Laval;
Katherine Pineault, deuxième cycle, UQAM; Karène Potvin, deuxième
cycle, Université Laval; Adam Ross Pelletier, premier cycle,
Université Laval; Simon Roy, premier cycle, Université Laval;
Pierre-Guy Sylvestre, économiste, Syndicat canadien de la fonction
publique (SCFP-FTQ) (en appui); Billal Tabaichount, premier cycle,
UQAM; Patrice Vachon, troisième cycle, président de l’Association
des gradués en économique de l’Université Laval; Thomas Vigneault,
deuxième cycle, Université Laval.