Haïti : la bataille décisive
17 février 2010
Plus tôt aujourd’hui, le secrétaire-trésorier
de notre organisation, Claude Généreux, a fait parvenir aux grands
quotidiens du pays une lettre ouverte au sujet de la reconstruction
d’Haïti suite au séïsme, au rôle du Canada là-bas et aux défis qui
attendent cette nation. Voici ce qu’il avait à communiquer.
Que le
premier ministre Harper consacre temps et énergie à Haïti est a
priori une bonne chose. Là où le bât blesse, cest quand on se
penche sur la pertinence et lutilité de ses actions et en
particulier de son voyage en Haïti à la mi-février. Il est bien sûr
navrant de voir Harper et son entourage aller parader en Haïti pour
les photographes sans avoir quoi que ce soit de neuf à dire ou à
offrir. Mais peu de commentateurs proposent des critiques et des
analyses à la hauteur de la tragédie fondamentale dHaïti, qui est
la vulnérabilité impensable et scandaleuse dans laquelle se
trouvait le pays avant le séisme.
On parle beaucoup de «
reconstruction », mais comment vivait-on dans ce pays avant le
fatidique 12 janvier? Le taux de chômage oscillait autour de 70 %,
et une proportion similaire dHaïtiens tentaient de survivre avec
moins dun dollar par jour. Comme les ONG géraient 92 % des écoles
et 70 % des soins de santé, et vu labsence totale de normes
antisismiques pour les bâtiments, on peut se demander sil existait
même un État haïtien.
Que veut donc dire « reconstruction » : un retour à létat initial
pour le pays le plus pauvre des Amériques? Le « business as usual »
néolibéral, qui prescrit un État et des services publics fantômes,
lutilisation permanente dONG comme béquilles et létablissement
de quelques « sweat shops »? Le versement de miettes par le Canada
et les États-Unis dans un contexte où ces pays consacrent
respectivement 0,3 et 0,12 % de leur PIB à laide au développement,
à lencontre de lobjectif de 0,7 % de lONU?
Après le séisme, une nouvelle tragédie immense pointe à lhorizon :
celle de lenlisement dHaïti dans une « phase durgence » sans
fin, alimentée par la répétition des recettes économiques
désastreuses, par une tutelle occidentale étouffante et par des
ouragans accentués par le négationnisme climatique de Harper et ses
semblables.
Bien sûr, il faut poursuivre leffort humanitaire pour que les
sinistrés obtiennent enfin leau, la nourriture, les abris et les
soins dont ils ont besoin, et appuyer et féliciter sans réserve
tous ceux qui mettent lépaule à la roue. Mais la bataille décisive
pour la dignité du peuple haïtien sengage. Elle sera perdue sans
un plan ambitieux de construction dinfrastructures physiques et
sociales dignes dun pays du 21e siècle : aqueducs, égouts,
électricité, écoles, hôpitaux, transports en commun, agriculture
autosuffisante, etc. Cest dans lédification massive de services
publics sous légide dun gouvernement dunité nationale que la vie
démocratique et lindépendance véritables dHaïti prendront leur
sens.
Peut-on espérer quun Stephen Harper ultraconservateur et affairé à
réparer les pots cassés de la dernière prorogation fasse preuve du
leadership voulu? Absolument pas, à moins que la société civile et
les citoyens du Canada se mobilisent et le contraignent. À nous dy
voir.
Claude Généreux
Secrétaire-trésorier national
Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP)
Ottawa, le 17 février 2010