Geler les salaires et limiter le pouvoir des syndicats, c’est nuire aux finances publiques
14 janvier 2011
Économiste à
l’emploi du SCFP (Montréal), Pierre-Guy Sylvestre explique pourquoi
certaines réformes envisagées aux États-Unis ne sont en réalité que
des miroirs aux alouettes.
Un article du New
York Times publié récemment
rapportait que certains États américains souhaitaient assainir
leurs finances publiques en gelant les salaires des travailleurs du
secteur public et en limitant le pouvoir des syndicats.
Par exemple, le gouverneur de lÉtat de New
York souhaiterait geler les salaires des employés de lÉtat, ce qui
permettrait des économies de 200 à 400 millions de dollars.
Dautres réformes plus radicales pourraient aller de lavant comme
en Ohio, où le gouverneur voudrait interdire le recours aux grèves
par les professeurs des écoles publiques.
Les réformes souhaitées par ces dirigeants américains ont de quoi
surprendre car la principale cause de la détérioration des finances
publiques est ailleurs. On devrait plutôt regarder du côté de la
sévère crise financière qui a mené à une crise économique
importante pendant laquelle de nombreux travailleurs ont perdu leur
emploi.
Rappelons que la croissance du PIB repose entre autres sur la
consommation des ménages. Diminuer le pouvoir des syndicats afin de
réduire les dépenses de l’État est un moyen soutenu par certaines
théories économiques aujourd’hui remises en question. Il est clair
que la consommation va diminuer si les salaires réels sont réduits.
Aussi est-il étonnant que certains gouverneurs américains veuillent
diminuer les salaires des travailleurs, ce qui pourrait nuire à la
croissance économique.
Lors dune allocution au Labor and Employment Relations Association
(LERA), léconomiste Paul Krugman, prix Nobel d’économie,
notait que le déclin du taux de syndicalisation aux États-Unis
avait contribué à affaiblir la classe moyenne américaine. Selon
lui, cette inégalité croissante serait due en grande partie à
lérosion des droits des travailleurs à choisir un syndicat et à
négocier. Ce phénomène contribue à accentuer les écarts de richesse
et nuit inévitablement à la croissance économique. Autrement dit,
affaiblir le rôle de négociation des syndicats, cest rendre la
redistribution des richesses encore moins équitable.
Léconomiste a également expliqué quun tiers de la différence
entre linégalité des revenus aux États-Unis et au Canada (les
écarts sont moins grands chez nous) sexpliquerait par le déclin
rapide du taux de syndicalisation au sud de notre frontière. Les
États-Unis auraient plutôt intérêt à lutter contre l’évasion
fiscale, à réglementer le secteur de la finance afin d’éviter les
dérapages qui ont mené à la crise économique et à donner les moyens
aux travailleurs et aux ménages américains de consommer.
Il ny a pas de corrélation entre taux de syndicalisation et
déficit public, encore moins de lien de causalité. Par exemple,
certains pays dans le monde ont des taux de syndicalisation
supérieurs à 50 % tout en ayant des ratios dette-PIB raisonnables.
Le problème des finances publiques de plusieurs pays ne se réglera
pas en diminuant les salaires des travailleurs ou en supprimant les
droits à la syndicalisation. Pour les États-Unis, les dirigeants
devraient plutôt miser sur une meilleure réglementation du secteur
financier et sur une réforme du système fiscal. Les gouvernements
du Canada et du Québec nont pas intérêt à imiter leurs homologues
américains qui veulent diminuer le pouvoir des syndicats et les
salaires réels des travailleurs de lÉtat. Cela aurait comme
conséquence de nuire au développement social et économique et les
finances publiques ne sen porteront pas mieux.