L’eau, un bien public qu’il faut défendre
20 septembre 2004
De l’eau potable sûre et le traitement fiable
des eaux usées devraient être un droit pour toute la population
canadienne. Mais les systèmes qui traitent et livrent notre eau
sont dans un état pitoyable.
La tragédie survenue à Walkerton il y a quelques années, nous
rappelle combien il est urgent de renouveler l’infrastructure des
systèmes publics d’approvisionnement et de traitement de l’eau.
Voilà pourquoi le SCFP a créé Eaux Aguets. Avec plus de 30
groupes couvrant toutes les provinces canadiennes, Eaux
Aguets est devenu le chien de garde de la qualité de l’eau
relevant des services publics.
Les systèmes municipaux mal financés et en manque de ressources
risquent de nuire aux collectivités. Les multinationales de l’eau
sont prêtes à profiter de la situation et à acheter et contrôler
les services d’approvisionnement en eau des collectivités. La
privatisation de l’eau a été un échec un peu partout dans le monde,
et cela ne fonctionnera pas plus au Canada. Le service public reste
le plus fiable pour garantir des systèmes d’approvisionnement et de
traitement de l’eau responsables, sûrs, efficients et sains pour
l’environnement.
La lutte pour freiner la privatisation de l’eau est une priorité
nationale pour la campagne du SCFP intitulée Public, ça
marche! Quand les entreprises vendent l’eau pour un profit, la
qualité, l’accès et la sécurité des services municipaux
d’approvisionnement en eau sont en péril tout comme l’avenir de nos
ressources en eau.
Eaux Aguets fait pression pour un plus
grand financement, une réglementation et un service d’inspection
musclés ainsi que pour un engagement en faveur de la régie et de la
prestation publiques, sans oublier la protection des systèmes d’eau
et des ressources en eau contre les accords commerciaux.
Le SCFP travaille en collaboration avec le Conseil des Canadiens,
l’Association canadienne pour le droit de l’environnement et
d’autres syndicats, groupes sociaux et environnementaux pour
défendre l’eau comme un bien public et pour améliorer les systèmes
d’approvisionnement et de traitement de l’eau.
RAPPORT SUR L’ÉTAT DE L’EAU POTABLE AU CANADA
Un rapport de la Sierra Legal Defence Fund
L’éclosion d’une maladie d’origine hydrique ayant rendu gravement
malade des milliers de personnes résidentes d’une ville de
l’Ontario au printemps de l’année 2000 ne pouvait que faire la une
des médias. En plus d’allégations de négligence et de méfaits dès
l’apparition de la maladie, la vitesse avec laquelle le mal s’est
répandu dans la population jusqu’à causer la mort, dans certains
cas tragiques, donne froid dans le dos.
L’attention croissante de la presse pour l’événement devait
rapidement faire du nom de la ville de Walkerton un terme familier,
obligeant le gouvernement de l’Ontario à exiger une enquête
indépendante sur les causes de la maladie. Lancée à l’automne 2000
et devant vraisemblablement se poursuivre jusqu’au printemps 2001,
l’enquête devrait faire la lumière sur les raisons pour lesquelles
tant de personnes se sont retrouvées gravement malades après avoir
bu de l’eau du robinet.
Mais beaucoup de gens espèrent que l’enquête fera bien davantage.
Les promoteurs de la santé publique et environnementale soutiennent
depuis longtemps que l’eau potable au Canada n’est pas aussi sûre
que nous l’imaginons. Même si l’eau potable du pays est plus sûre
qu’ailleurs, des problèmes importants continuent de surgir partout
au Canada. Et l’inquiétude ne cesse de croître à l’effet que les
problèmes pourraient s’aggraver tandis que le développement humain
continue d’épuiser et de souiller les réserves d’eau potable telles
que les sources, les rivières, les lacs et les puits.
Pendant ce temps, l’infrastructure de l’approvisionnement en eau et
du traitement des eaux usées au Canada a besoin d’être renouvelée
et améliorée. Pourtant, le programme actuel d’infrastructure du
gouvernement fédéral n’obtient pas le financement nécessaire pour
que le système qui traite l’eau et approvisionne en eau la
population canadienne soit mis à niveau et fonctionne correctement.
Ce manque à gagner est particulièrement problématique si l’on
considère que d’autres paliers de gouvernement se sont déchargés de
nouvelles responsabilités de services sur les municipalités déjà à
court d’argent. La pression croissante pourrait forcer certaines
municipalités à faire appel au secteur privé qui pourrait
s’approprier et gérer les systèmes d’approvisionnement en eau et de
traitement de l’eau de sorte que l’obligation de rendre des comptes
en serait d’autant plus compromise.
Sans une approche globale pour protéger l’eau potable dans tout le
Canada, nous pouvons probablement nous attendre à d’autres
tragédies. Même si Walkerton rappelle le pire cas d’éclosion d’une
maladie d’origine hydrique au Canada, bien d’autres collectivités
un peu partout au pays ont déjà vu leurs réserves d’eau
contaminées.
Le parasite unicellulaire pouvant potentiellement provoquer la
mort, le cryptosporidium, a été décelé dans les réserves d’eau à
Collingwood et Kitchener, en Ontario, ainsi que dans les
collectivités de Cranbrook et Kelowna, en Colombie-Britannique. Des
coliformes fécaux dont le E. coli ont été détectés dans l’eau
potable de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Les trihalométhanes
causant le cancer ont été découverts dans l’eau de Terre-Neuve. Et
dans de nombreuses collectivités de l’Ontario, on a trouvé des
traces de trichloroéthylene (le produit chimique soluble dans l’eau
dont les effets débilitants sur la santé sont examinés dans le
livre et le film bien connus, A Civil Action). La liste qui précède
est loin d’être complète.
Tandis que la gravité de l’éclosion de la maladie à Walkerton se
confirmait, la Sierra Legal Defence Fund menait une enquête à
l’échelle nationale sur la protection de l’eau potable au Canada.
Un rapport sur l’état de l’eau et des tableaux comparatifs
accompagnant ce rapport proposent, pour la première fois, une
analyse permettant de savoir où se situe chaque province à l’égard
d’un certain nombre de questions importantes, notamment :
· La protection de l’eau potable à la source.
· Le traitement de l’eau et le contrôle de la qualité de l’eau.
· L’information de la population.
Au moment de mener cette enquête et de donner une note à chaque
province, la Sierra Legal a communiqué avec les autorités
compétentes du personnel gouvernemental dans chaque province et
territoire. Tous devaient fournir des renseignements sur un
ensemble de questions.
Par exemple, on leur demandait si leur gouvernement exigeait ou non
de procéder au contrôle de la qualité de l’eau avant l’approbation
d’une source en eau. Dans le même ordre d’idées, on leur demandait
si leur gouvernement avait les moyens législatifs de protéger les
bassins d’eau contre des activités humaines potentiellement
nocives. On considérait également:
· Si la province ou le territoire avait un seul organisme voué à la
protection de tous les aspects de la qualité de l’eau potable.
· Sur quoi portait le contrôle de la qualité de l’eau et en quoi
cette vérification se conformait aux Recommandations pour la
qualité de l’eau potable au Canada.
· Si oui ou non les responsables utilisaient des laboratoires
approuvés pour procéder au contrôle de la qualité de l’eau.
· Les méthodes de traitement de l’eau.
· Les exigences en matière d’information de la population.
Toutes les provinces et tous les territoires ont participé à
l’enquête initiale. La possibilité de faire leurs commentaires par
écrit sur les sommaires reproduits dans ce rapport leur était par
la suite accordée. La plupart y ont donné suite et, au besoin, des
modifications et clarifications mineures ont été apportées au
rapport.
Certains faits saillants de cette enquête méritent notre attention.
Par exemple, d’entre toutes les provinces et territoires, seules
l’Alberta et le Québec ont adopté globalement ou presque les
Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada en tant
que norme pour le contrôle de la qualité de l’eau potable. Les
recommandations établissent des limites assez sévères sur un
certain nombre de contaminants microbiologiques, chimiques et
radiologiques potentiellement nocifs pouvant surgir dans les
réserves en eau potable des collectivités.
Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse ont également obtenu une
bonne note pour le travail accompli afin d’adopter une loi pour
protéger de façon limitée les bassins d’eau. Et l’Ontario a été
saluée pour sa décision (postérieure aux événements de Walkerton)
d’exiger que les résultats du contrôle de qualité de l’eau potable
soient accessibles à la population.
Mais aucune province ne peut être citée en exemple pour son travail
exceptionnel à l’égard d’un vaste ensemble de questions examinées.
En fait, les trois provinces qui arrivent en tête, l’Alberta,
l’Ontario et le Québec ont obtenu tout juste un B. Et l’Ontario n’a
obtenu cette note qu’en raison des changements récents de son
système de règlements, changements dont la mise en uvre ne sera
pas achevée avant 2002. Si l’Ontario devait être jugée selon sa
performance précédant les événements de Walkerton, elle obtiendrait
un D, la même note que la Colombie-Britannique, Terre-Neuve, les
Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le Yukon.
Toutes les autres provinces, à l’exception de
l’Île-du-Prince-Édouard, reçoivent une note entre B moins, dans le
cas de la Nouvelle-Écosse (qui a adopté de nouvelles normes cet
automne), et C moins pour le Nouveau-Brunswick. La plus petite
province du Canada se voit attribuer un F, la plus basse note de ce
premier rapport.
Même si certaines provinces s’en tirent mieux que d’autres, aucune
d’entre elles ne fait un travail exemplaire. De plus, l’approche
globale à l’égard de la préservation de l’eau potable au Canada
accuse du retard par rapport à celle adoptée par les États-Unis où
l’on insiste bien davantage sur la protection de l’eau à sa source
et pour assurer à la population un accès immédiat aux
renseignements disponibles sur la qualité de l’eau potable.
En protégeant les bassins d’eau des dommages possibles découlant de
l’utilisation nocive du sol, par exemple l’agriculture
industrielle, l’exploitation forestière, l’expansion urbaine, les
fournisseurs d’eau peuvent contribuer de façon efficace à
sauvegarder la qualité de l’eau potable.
Toutefois, la plupart des provinces canadiennes et des territoires
n’ont pas adopté de loi sérieuse pour protéger les bassins d’eau.
Pas une seule province ou territoire n’a jugé utile d’assigner à un
organisme en particulier l’unique responsabilité de contrôler tous
les aspects de la qualité de l’eau potable, une idée ayant été
proposée par le vérificateur général du gouvernement d’une province
au moins (la Colombie-Britannique). Et très peu insistent sur la
nécessité d’avoir recours à des laboratoires agréés pour vérifier
la qualité de l’eau.
Les différences entre les provinces ne constituent pas le seul
élément qui nuit à une meilleure protection et à un meilleur
traitement de l’eau potable au Canada. Dans l’ensemble, la
protection de l’eau potable au Canada n’est pas aussi forte qu’aux
États-Unis.
La Safe Drinking Water Act, administrée par l’organisme américain
de protection de l’environnement, l’Environmental Protection
Agency, énumère un grand nombre de contaminants qui sont interdits
ou qui ne sont permis qu’à des concentrations très basses dans les
réserves publiques d’eau potable. Parmi les composés énumérés par
la loi américaine et qui n’apparaissent même pas dans les
Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada,
mentionnons l’amiante (qui engendre des problèmes intestinaux) le
béryllium (lésions intestinales), le thallium (associé à des
problèmes du rein, du foie et des intestins, entre autres) et un
certain nombre de pesticides. De plus, les États-Unis ont adopté
des limites beaucoup plus sévères que le Canada à l’égard de
certains contaminants. Par exemple, les limites imposées par le
Canada pour le trichloroéthylène sont dix fois plus élevées que la
norme américaine.
En cours d’enquête, la Sierra Legal a identifié plusieurs problèmes
relatifs à l’approche du gouvernement canadien, de chacune des
provinces et territoires en matière de protection des réserves
publiques d’eau. Pour éviter l’éclosion de maladies dans l’avenir,
ces problèmes doivent être résolus.
Les résultats de l’enquête semblent indiquer que certains
changements fondamentaux sont nécessaires à l’égard de la
protection et du traitement de l’eau potable au Canada. Nous
élaborons plus en détails sur les recommandations clefs aux
chapitres IV et V:
· Rendre la protection de l’eau potable obligatoire.
· Légiférer sur la protection des bassins d’eau.
· Accorder à toutes les provinces et tous les territoires canadiens
les pouvoirs de rendre exécutoires les Recommandations pour la
qualité de l’eau potable au Canada.
· Exiger la formation et l’accréditation des opérateurs de système
public d’approvisionnement en eau et de traitement de l’eau.
· Légiférer sur les exigences de contrôle sévères et adopter des
dispositions relatives au droit à l’information pour les
consommateurs d’eau.
· Donner aux citoyennes et citoyens le droit de poursuivre les
provinces et territoires qui ne respectent par les normes relatives
à la qualité de l’eau, comme c’est le cas dans les États et
territoires américains.
· Accroître le financement du gouvernement fédéral pour la
construction et le renouvellement des infrastructures de traitement
de l’eau et d’approvisionnement en eau, et faire dépendre le
financement du respect des exigences en matière de protection de
l’eau.
Nous croyons que si ces recommandations sont adoptées par toutes
les provinces et tous les territoires, le Canada aura fait un pas
en avant non négligeable dans la voie de la prévention des
éclosions de maladies d’origine hydrique.
Rapport national sur l’état de l’eau potable
Afin d’évaluer les efforts déployés par les provinces et
territoires pour protéger les sources d’eau, en plus de traiter et
de vérifier la qualité de l’eau potable, la Sierra Legal a
communiqué avec les ministères responsables dans chaque province ou
territoire. Au départ, le processus comportait des entrevues
téléphoniques avec des responsables gouvernementaux ou des
responsables du ministère de l’Environnement. Un examen en
profondeur des documents pertinents, notamment les lois et
règlements a suivi. Par la suite, les résumés des provinces et
territoires ont été préparés et renvoyés dans chaque province ou
territoire afin d’obtenir leurs commentaires. Quatre provinces
(Colombie-Britannique, Saskatchewan,Ontario et Québec) ont préféré
ne pas répondre. Ensuite, une note était attribuée en se basant sur
une évaluation de la performance dans cinq secteurs clefs.
Protection des bassins d’eau
Les fournisseurs d’eau parlent souvent de chaîne de traitement.
Quand chaque étape de la chaîne, en commençant par l’eau à sa
source pour finir par l’eau qui sort de votre robinet, fait l’objet
d’un contrôle adéquat, une eau de très bonne qualité est
pratiquement garantie.
La première étape de cette chaîne est la réserve d’eau en tant que
telle. Si les efforts parviennent à prévenir une utilisation
dommageable du sol entraînant une dégradation des eaux de surface
ou de la nappe souterraine, le traitement de l’eau et
l’approvisionnement en eau propre sont beaucoup plus faciles.
La tâche de protéger les eaux de surface et la nappe souterraine
est souvent difficile en l’absence de lois permettant de désigner
les bassins d’eau devant être protégés.
Sévérité des critères de contrôle de la qualité de l’eau
Aucune réserve en eau ne peut être considérée comme sûre à moins de
faire régulièrement l’objet d’un contrôle de qualité pour vérifier
la présence d’un vaste éventail de contaminants possibles.
Un contrôle adéquat recherche la présence de contaminants
microbiologiques tels que le lamblia ou l’E. coli, des contaminants
physiques tels que de minuscules particules organiques qui peuvent
masquer certains contaminants chimiques ou organiques sources de
maladies, des contaminants chimiques qui peuvent être présents dans
certaines substances telles que les pesticides et les effluents
industriels, ainsi que des contaminants radiologiques survenant
naturellement ou découlant d’un usage industriel.
Les provinces et les territoires ont été évalués tant sur la
fréquence des mesures de contrôle de la qualité utilisée et sur le
type de substances recherchées dans les échantillons d’eau
prélevée.
Traitement de l’eau
Un traitement adéquat de l’eau comporte tout un ensemble
d’activités comprenant, sans toutefois y être limitées, la
protection des sources d’eau, la filtration de l’eau, la
désinfection de l’eau par des procédés chimiques ou autres, la
désinfection à nouveau de cette eau au moment où elle entre dans
les tuyaux qui approvisionnent les foyers et les entreprises et
l’entretien des canalisations de distribution en eau.
Les provinces et territoires ont été évalués sur leurs exigences
relatives au traitement de l’eau.
Formation et accréditation des opérateurs
Les provinces et territoires ont été évalués quant aux exigences ou
à l’absence d’exigences relatives à la formation et l’accréditation
des organismes chargés de l’approvisionnement en eau. Ils ont
également été évalués quant à savoir s’ils exigeaient l’approbation
des laboratoires effectuant le contrôle de la qualité de l’eau.
Exigences en matière de contrôle et le droit à l’information de
la population
Selon la province ou le territoire, les exigences diffèrent
considérablement quant au moment où l’information concernant la
qualité de l’eau doit être fournie aux autorités gouvernementales
et quant au moment où la population doit être informée.
Dans bien des cas, la note obtenue est la même. Mais les raisons
motivant cette note diffèrent. La plus haute note accordée dans ce
rapport inaugural est un B, mesurée en référence au A que, selon
notre échelle, nous aurions accordée aux États-Unis (bien que le
système américain nécessite lui aussi certaines améliorations, son
approche globale à l’égard de la protection de l’eau demeure bien
supérieure à l’approche canadienne).