La face changeante du syndicalisme québécois
23 octobre 2010
Pierre Dubuc
du mensuel lAutJournal
a rencontré Benoit Bouchard,
président du Syndicat des spécialistes et professionnels dHydro-Québec
(SCFP 4250). Dans
cet entretien, celui-ci revient sur la syndicalisation de groupe de
travailleurs très scolarisés. Nous reproduisons ci-dessous
larticle de Pierre Dubuc avec laimable autorisation de
lAutJournal.
Le monde syndical évolue. Il évolue avec le marché du travail. Il
évolue avec la société. Pendant que des emplois syndiqués
disparaissent victimes de la délocalisation vers les pays aux
économies émergentes ou de la modernisation des processus de
production de nouveaux contingents de travailleurs et
travailleuses prennent leur place dans les structures syndicales.
Cest le cas du Syndicat des spécialistes et
des professionnels dHydro-Québec, créé il y a à peine dix ans, et
qui, à la suite dune poussée fulgurante, regroupe aujourdhui plus
de 4 000 membres. Nous avons rencontré son président, Benoît
Bouchard.
«Hydro-Québec ne pensait jamais
que ces spécialistes des nouvelles technologies, des
communications, de lenvironnement, tous détenteurs dun
baccalauréat universitaire ou léquivalent, daigneraient se
syndiquer, raconte Benoît Bouchard. Mais quand la direction dHydro sest mise à
procéder à des suppressions de postes, à menacer lhoraire
variable, à obliger les spécialistes à travailler par mandat, ce
qui aurait eu pour effet la fin des heures supplémentaires payées,
des inégalités dans les charges de travail et des horaires de fou,
la nécessité de se syndiquer sest imposée.»
Pour ne pas alerter les patrons, les organisateurs syndicaux
avaient déposé le nombre minimum de cartes nécessaires pour
autoriser un vote. Le taux de participation a fracassé des records.
«Plus de 90% des spécialistes ont
répondu à lappel. Ils ont voté à 72% en faveur de la
syndicalisation. La direction dHydro-Québec était
abasourdie», se rappelle avec fierté Benoît, qui était
analyste en informatique à lépoque.
Ces syndiqués, plus instruits, plus individualistes également étant
donné la nature de leur travail, remettent rapidement en question
lapproche syndicale classique. Par exemple, ils sont violemment
opposés à la règle traditionnelle de lancienneté en vigueur au
syndicat représentant les employés de bureau.
«Le nouveau poste créé ou qui se
libère doit être attribué à la personne la plus compétente qui
remplit les exigences requises», précise Benoît Bouchard.
Mais comment empêcher le népotisme ou le copinage? «La direction dHydro-Québec sait que le
favoritisme affecte la motivation des employés. Auparavant, il
revenait au département des Ressources humaines de jouer les chiens
de garde. Aujourdhui, ce rôle échoit au syndicat»,
enchaîne-t-il en soulignant que lélaboration des règles de
dotation est un des dossiers majeurs de son syndicat.
Un autre dossier important est celui de lépuisement professionnel.
«Nos membres ne se cassent pas de
bras ou de jambes. Ils sont victimes de burn-out. Il y a un immense
travail de sensibilisation à faire pour que ceux-ci ne soient pas
perçus comme des gens faibles et mis à lécart lorsquils
reviennent au travail après un congé maladie», affirme le
dirigeant syndical en notant que laugmentation en flèche du coût
des assurances interpelle également le syndicat.
Pas étonnant non plus, étant donné la jeunesse du membership et une
répartition égale hommes/femmes, que la conciliation
travail/famille figure en haut de la liste des priorités
syndicales. Déjà, les employés peuvent bénéficier dun horaire
variable pour leur semaine de 35 heures à la condition dêtre
présents sur les lieux de travail de 9h30 à 15h30.
Les caractéristiques du membership colorent également les moyens de
pression utilisés et la mobilisation. «Nos membres veulent être informés tout au
long du processus des négos et nacceptent pas la langue de
bois, explique-t-il. En
2006, nous étions obligés démettre des bulletins dinformation une
ou deux fois par semaine. Ça complique les négos lors des
rencontres avec la direction. Il sagit de trouver léquilibre
entre la nécessité dinformer les membres et ne pas négocier sur la
place publique. Cest pas toujours facile.»
Les moyens de pression sont à lavenant. «On saffichait avec des ballons, chacun dans
son bureau. La direction a été surprise de lampleur de la
participation. En fin de journée, des gestionnaires se sont amusés
à crever les ballons. Ils nauraient pas dû. Le lendemain, il y en
avait deux fois plus. Finalement, on a gagné la guerre des ballons
et cela a eu un impact important à la table des
négociations.»
À cause de sa composition, du fait également quil a grossi en
partie au détriment dautres sections syndicales chez Hydro-Québec,
les relations avec ces autres sections ont été longtemps
difficiles. «Mais, en 2008 nous
avons réussi à faire front commun avec les autres unités syndicales
pour des négociations conjointes sur les salaires et autres
avantages sociaux. On avait le mandat de nos membres pour ce faire.
Il y a dix ans, cela aurait été inimaginable», de dire le
président de la section 4250, affiliée au SCFP et à la FTQ.
Le syndicalisme québécois évolue. Mais, comme en témoigne le
Syndicat des spécialistes et des professionnels dHydro-Québec, les
nouveaux contingents de jeunes syndiqués, représentant de nouvelles
catégories de travailleurs et de travailleuses, prennent finalement
leur place aux côtés des secteurs plus traditionnels, toujours sous
la bannière plusieurs fois centenaires du mouvement syndical:
«Lunion fait la
force».