Quarante-et-un États se sont abstenus de voter sur le droit à l’eau
20 août 2010
Les
professeures Lucie Lamarche et Sylvie Paquerot de lUniversité
dOttawa font part de leur réflexion suite à ladoption par les
Nations Unies dune résolution sur le droit fondamental à leau.
Lucie Lamarche est directrice du
Centre d’enseignement et de recherche sur les droits de la personne
de lUniversité d’Ottawa. Sylvie Paquerot est professeure à
l’École d’études politiques de cette même université.
Le texte qui suit ne constitue pas une position politique du SCFP
mais par la réflexion quil suscite, il mérite très certainement
lattention de nos membres et de la population en général. Nous le
reproduisons avec laimable autorisation des
auteurs.
Le 28 juillet dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies a
reconnu dans une résolution le droit humain fondamental à une eau
potable, salubre et propre. La longueur des attendus précédant
l’affirmation de ce droit par l’Assemblée générale justifie le
soulagement sous-entendu dans l’expression «il était temps».
Après tout, l’affaire a commencé à Mar del
Plata, en 1977, alors que s’y tenait la première Conférence des
Nations Unies sur l’eau. On y reconnut alors que les peuples «ont
le droit de disposer d’eau potable en quantité et d’une qualité
suffisante pour répondre à leurs besoins essentiels».
Dans la foulée de ce premier jalon, il faut aussi noter l’adoption
en 2002 par le Comité d’experts indépendants des Nations Unies sur
les droits économiques, sociaux et culturels de l’observation
générale no 15 sur le droit (humain) à l’eau. Le Comité y affirmait
alors que «le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie
digne. Il est une condition préalable à la réalisation des autres
droits de l’homme».
Toutefois, la chorale internationale ne chante pas toujours à
l’unisson. Ainsi, et en marge des réunions des Nations Unies, se
déploient depuis 1997 les forums mondiaux de l’eau. Ces forums
convoquent régulièrement, tous les trois ans, des conférences
ministérielles qui ont toujours refusé de reconnaître le droit
humain à l’eau.
L’adoption de la récente résolution par l’Assemblée générale
soulève donc la question: quel est le lieu légitime pour prendre de
telles décisions à l’échelle internationale? La France a voté pour
la résolution de juillet 2010 et le prochain forum mondial de l’eau
se déroulera à Marseille en 2012. À suivre, donc…
Somme toute, et à la vue de la longue et lente trajectoire de la
reconnaissance du droit à l’eau au sein des instances des Nations
Unies, on peut à juste titre se demander pourquoi 41 États se sont
abstenus de voter pour cette résolution.
Le Canada refuse de rallier
Le droit international évolue notamment en fonction de la pratique
des États. En d’autres mots, il ne suffit pas d’affirmer un droit,
encore faut-il, comme État, lui donner les moyens de son
effectivité. Et si les résolutions de l’Assemblée générale des
Nations Unies n’ont pas de caractère juridique obligatoire, elles
confèrent néanmoins une légitimité aux revendications et
influencent la pratique des États et l’élaboration de leurs
politiques publiques, suffisamment pour que des pays comme le
Canada, entre autres, refusent de s’y rallier.
On peut comprendre le leadership exercé par la Bolivie de Morales
en faveur de cette résolution (rappelons-nous la célèbre «guerre de
l’eau» de Cochabamba qui devint rapidement emblématique des luttes
contre la privatisation et la marchandisation de cette ressource
vitale). Mais peut-on a contrario accepter l’abstention du
gouvernement canadien qui estime que la qualité du droit humain à
l’eau n’est pas encore claire et qu’il faudra encore plus de
travaux pour arriver à une telle reconnaissance? Ballet
diplomatique défensif, certes, mais un ballet inquiétant.
Cette attitude du Canada s’explique d’autant plus mal que la
résolution des Nations Unies, il faut bien le reconnaître après un
moment d’euphorie, souffle le chaud et le froid. Certes, elle
reconnaît d’abord le droit humain à l’eau potable; mais ensuite, le
texte donne l’impression de ramener ce droit à une affaire
technique de coopération internationale et de transfert
technologique plutôt que d’interpeller la communauté internationale
dans son ensemble.
Ici, aucune affirmation politique sur, par exemple, le caractère de
bien commun ou non commercial de cette ressource vitale. Les
cyniques diront qu’en contrepartie de la reconnaissance du droit à
l’eau, les membres du G8 et certains membres du G20 se sont ici
taillé une part commerciale intéressante…
Le Conseil de la fédération
Au Canada non plus, d’ailleurs, la chorale ne chante pas toujours à
l’unisson, si l’on se fie au Conseil de la fédération qui semblait
récemment s’inscrire en ce sens: «Attendu que les Canadiens ont le
potentiel d’aider à résoudre les enjeux mondiaux de l’eau en
développant et en commercialisant des technologies et des services
novateurs et d’agir comme chefs de file du développement et de la
vente de technologies et de services nouveaux [nous soulignons]
visant à améliorer la conservation et la qualité de l’eau à travers
le monde…»
Pourtant, ceux et celles qui ne se prélassaient pas récemment sur
les berges d’un lac auront vu passer le communiqué de presse du 7
août suivant la tenue du Conseil de la fédération canadienne. Peu
de résultats, rapporte la presse. On y trouvait toutefois
l’engagement des premiers ministres d’adopter une charte de l’eau
afin de garantir aux Canadiens et aux Canadiennes une eau potable
de qualité, surtout dans les régions rurales et isolées.
S’agirait-il de l’amorce d’une pratique de conformité à la
reconnaissance internationale du droit humain à l’eau, et ce,
malgré le fait que le gouvernement fédéral, répondant international
pour le Canada, n’ait visiblement pas donné son aval à un tel
engagement? Une autre affaire à suivre…
Au Québec
Rappelons que le Québec a déjà franchi un pas au sens de cette
éventuelle pratique en reconnaissant que «dans les conditions et
les limites définies par la loi, chaque personne physique, pour son
alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable».
Cette affirmation est prévue à l’article 2 de la Loi affirmant le
caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer
leur protection. Elle n’offre cependant pas de garantie de recours
en cas de non-respect. Peut-être un rapprochement entre l’évolution
du droit international des droits de la personne (le droit humain à
l’eau) et le droit québécois favorisera-t-il une analyse voulant
qu’avant la nation, dont on veut protéger le patrimoine, ce soient
les personnes, au Québec comme ailleurs, qui doivent se voir
garantir l’accès à une eau potable de qualité et universellement
accessible en quantité suffisante…
La récente résolution des Nations Unies est donc importante.
L’interprétation qu’en fera le gouvernement québécois, bon joueur
(et joueur riche en eau) sur la scène québécoise, canadienne et
internationale, sera intéressante à surveiller.