Censuré par la «famille» Quebecor
10 avril 2008
(MMQ) – Chez Quebecor, il ne faut rien écrire
qui porte ombrage à la «famille». La direction du
Toronto Sun a refusé
récemment de publier un article de lun de ses chroniqueurs qui
abordait dun point de vue syndical la question du lock-out au
Journal de Québec.
On le voit depuis le début du conflit, il ne faut pas compter sur
la machine Quebecor pour informer la population sur le conflit que
lentreprise a elle-même planifié et organisé de longue date.
Outre deux ou trois communiqués de lentreprise, le Journal de
Québec est demeuré complètement muet sur le sujet, même si, très
souvent depuis le début du lock-out, tous les médias dinformation
régionaux en ont fait leurs manchettes.
Et dans les cas où TVA a parlé du conflit,
nous savons que les travailleurs syndiqués ont dû souvent insister.
Dans une chronique quil a rédigée pour le Toronto Sun, le leader syndical du
SCFP en Ontario, Sid Ryan, dénonçait lattitude de Quebecor, un
point de vue qui ne trouve pas sa place dans les pages du
Toronto Sun.
Il faut saluer le courage de M. Ryan, mais aussi dénoncer la
Corporation Sun Media qui le bâillonne. Cela est dautant plus
scandaleux que la censure est imposée par une entreprise de presse
qui devrait plutôt se battre bec et ongles pour la liberté
dexpression et la libre circulation des informations.
Cest la même entreprise, Quebecor, qui a récemment tenté (sans
succès heureusement) devant la Commission des relations du travail
dobtenir une ordonnance de non-publication sur le témoignage du
président de Canoë.
La direction du Toronto
Sun a expliqué sa décision par le fait quelle ne peut
publier un article qui attaque lorganisation, la «famille» pour reprendre un terme
entendu à maintes reprises lors des audiences de la CRT sur
lutilisation alléguée de scabs dans lactuel conflit au
Journal de Québec.
Léditeur du Toronto Sun
sest dit daccord avec limportance du défi que représente le
multiplate-forme et la convergence dans les médias au pays, mais il
ne pense pas que Quebecor devrait être montrée du doigt.
La chronique refusée
Nous reproduisons ci-dessous le
texte intégral de la chronique de Sid Ryan refusée par le
Toronto Sun. Précisons
qu’il s’agit d’une traduction, la chronique originale étant bien
entendu en anglais.
Néfaste pour la
démocratie
Sid Ryan
Toronto Sun
Ces temps-ci, nous sommes de plus
en plus nombreux à nous préoccuper de ce que nous mangeons, ce qui
est très bien. Quels produits chimiques ont été utilisés pour faire
pousser les légumes et les fruits? Les produits ont-ils été vendus
dans des conditions équitables? Quelle distance ont-ils franchie
avant darriver sur les étagères de nos épiceries?
Mais combien se préoccupent de la façon dont ils nourrissent leur
cerveau? Savons-nous doù viennent les nouvelles que nous
consommons et les opinions que nous lisons et entendons. Est-il
possible que ce que nous croyons être des nouvelles ne soient que
la promotion de lintérêt commercial de certaines entreprises
médiatiques?
Ces questions sont soulevées par un conflit de travail qui dure
depuis presque un an à Québec. Cela semble bien loin de Toronto,
mais les mêmes enjeux qui ont mené au lock-out de plus de 250
journalistes, photographes, employés des petites annonces et de
bureau du Journal de Québec, sans parler des travailleurs de
limprimerie en grève par solidarité, ces enjeux peuvent très bien
toucher les travailleurs et les médias de tout le pays. Le
propriétaire, Quebecor, possède Sun Media et le présent quotidien
(N.D.L.R.: le Toronto Sun).
Quebecor veut que tout le personnel travaille une journée de plus
chaque semaine pour le même salaire. Elle veut aussi réduire sa
main-duvre en sous-traitant son service de petites annonces à un
centre dappels situé en banlieue dOttawa, enlevant ainsi leur
gagne-pain à de nombreuses femmes, dont plusieurs sont
monoparentales; en modernisant son matériel dimprimerie et en
versant aux imprimeurs un salaire différent pour les tâches
commerciales faites sur les nouvelles presses; et en obligeant les
journalistes à faire du «multitâche».
La direction veut que les journalistes soient photographes et
vidéographes et quils rédigent des articles non seulement pour le
quotidien, mais aussi pour le site Web et tous les autres organes
de presse appartenant à Quebecor.
Toute personne qui fait du multitâche sur une base régulière sait
que cest possible, mais que la qualité finit par pâtir. Et,
surtout, nous avons de moins en moins dorganes de presse et de
moins en moins dindividus qui nous rapportent les nouvelles.
Je peux exprimer une opinion dans cette page; en fait, lorsque la
rédaction du Toronto Sun ma demandé de tenir cette rubrique, il y
a près de trois ans, cétait pour accroître la diversité des points
de vue exprimés dans le journal. Au Journal de Québec, Quebecor
Media exige exactement le contraire.
Chaque journaliste a un point de vue. Il sexprime dans son choix
de faits, de personnes interviewées, de mots utilisés pour raconter
lhistoire. Ainsi, lorsque moins de journalistes rapportent plus de
nouvelles, nous obtenons moins de points de vue.
Et cela, cest important, à une époque où quatre conglomérats
contrôlent 70 % des quotidiens du Canada, où trois sociétés
diffusent la majeure partie des nouvelles télévisées et où deux
entreprises possèdent la majorité des stations de radio. Cest
important dans un monde où deux familles peuvent contrôler la
présidence des États-Unis pendant près dun quart de siècle un
étrange phénomène dans une démocratie, que le biographe de John F.
Kennedy, Ted Sorensen, attribuait dans une entrevue récente à la
«reconnaissance dun nom».
Cest ce que nous apporte la convergence des médias. Les
travailleurs en lock-out et en grève du Journal de Québec ont
décidé, dès le départ, de ne pas ériger les habituels piquets de
grève. Les membres du personnel de la rédaction ont plutôt choisi
dutiliser leur talent pour publier un quotidien gratuit, le
MédiaMatinQuébec. Les travailleurs de bureau et de limprimerie
distribuent 40 000 journaux dans les rues de Québec chaque jour. Et
ils sensibilisent la population à la menace de la convergence des
médias.
Prenons lexemple du lancement, lautomne dernier, de
lautobiographie de lex-premier ministre Brian Mulroney. Publié en
français par une entreprise de Quebecor, le livre a fait les
manchettes dans les journaux de Quebecor, son site Web Canoë, ses
stations de radio et de télévision et ses magasins Archambault.
Lex-premier ministre, en passant, est membre du conseil
dadministration de Quebecor et son ex-porte-parole, Luc Lavoie,
est vice-président des communications de Quebecor.
Tout cela nest pas de bon augure pour notre système démocratique,
qui a besoin dun électorat informé pour fonctionner. Entre-temps,
dici quelques semaines, les travailleurs du Journal de Québec
souligneront le premier anniversaire de la publication de leur
quotidien gratuit. Avec la menace qui pèse sur leurs emplois, je
doute quils aient le cur à la fête.