Recordman malgré lui
25 février 2008
(MMQ) Mauvais choix de carrière, coups du
sort, simple malchance? Serge Turgeon ne saurait dire. Si le Livre
des records Guinness avait cette catégorie, il sait en revanche que
son «exploit» y figurerait, celui davoir subi les deux plus longs
conflits de travail de lhistoire de la presse écrite francophone
au Québec. Le «transmissionnologue», comme on aime à lappeler,
était de la grève du Soleil de 1977-78 (10 mois, 10 jours)
et, 30 ans plus tard, le voilà empêtré dans le lock-out-grève du
Journal de Québec. Près de
21 mois sur la touche.
«Un record dont je me passerais, laisse tomber «Bahut», son
surnom. Jamais je naurais pensé
revivre un événement de ce genre.»
Des indices avaient suscité sa méfiance;
pourtant, le choc a été dur lorsque les premiers médias ont fait
état du lock-out décrété par Quebecor, le matin du 22 avril.
«Les relations avaient toujours
été harmonieuses au Journal. Dans ce contexte, jusquà la dernière
minute, jai cru à une entente. La journée a été longue et le
sommeil difficile à trouver.»
La deuxième fois,reconnaît-il demblée, nest guère plus rigolo. À
56 ans, la retraite se profilait à lhorizon et des projets
germaient. Le voilà forcé de gérer sur les freins. «Disons que le plan de match nest plus le
même. Le rythme de vie a changé; ma conjointe travaille,
heureusement.»
Fataliste
Ayant fait ses premiers pas à titre de messager au défunt journal
LAction catholique, à
lété de 1970, puis embauché au journal Le Soleil en 1971, il se montre
néanmoins fataliste, surtout, dit-il, que les propositions de
lemployeur étaient inacceptables.
«Un coup dans le conflit, il faut
faire avec cela, défend-il. Cest comme la maladie ou lorsquon se fait
heurter au coin de la rue. La vie continue même si ce nest pas
ordinaire et que ce ne sera plus comme avant.»
Piqueteur
Lexpérience du piquetage devant les locaux du quotidien
Le Soleil a été
éprouvante.
Cette fois, ajoute-t-il, le conflit a quelque chose de différent.
Ce quelque chose, cest le MédiaMatinQuébec. «Pendant la grève du Soleil,
il fallait sarranger avec les
moyens du bord même si nous avions publié deux revues. On peut
mieux se défendre avec le MédiaMatinQuébec. Lors de lannonce du lancement du journal,
lémotion a cédé le pas à la volonté. On avait un bateau, une bouée
de sauvetage.»
Laventure lui fait vivre des retours en arrière. À lépoque de ses
26 ans où, deux mois après le retour au travail au Soleil, il donne sa démission, rejoint
des amis et entre chez le concurrent de Vanier.
«Léquipe était jeune et le défi
était beau au Journal de Québec. On ma accueilli les bras ouverts. Je
retrouve la même effervescence au MédiaMatin. On a réappris à se serrer les coudes.»
Amer
Aucun regret sur son parcours. Avec le lock-out qui séternise,
lamertume la toutefois gagné. Lavenir des jeunes le préoccupe
aussi. «On se dirige plus vers de
linformation «Mcdonalisée». Je ne crois pas que ce soit la bonne voie, au
contraire», déplore le Charlesbourgeois.
La conclusion, croit-il, emprunte le chemin de la négociation ou de
larbitrage. Le hic, il manque un danseur sur la piste.
«Je souhaite un retour de
Quebecor à la table de négociations. Nous avons montré de
louverture, il me semble. Avec un retour au Journal de Québec, au
moment de la retraite, jaurais le sentiment du devoir
accompli.»
Deux autres
Le MédiaMatinQuébec compte
deux autres artisans ayant connu un long conflit de travail. Pierre
Lachance, chef de pupitre et chef de nouvelles, et Albert
Ladouceur, journaliste et chroniqueur, étaient de léquipe du
défunt Montréal-Matin mise
à la rue parallèlement au conflit de six mois au quotidien
La Presse, à lautomne
1977. Power Corporation possédait les deux journaux imprimés, alors
sur les mêmes presses. En appui aux journalistes de La Presse, le syndicat CSN a refusé
dimprimer les deux quotidiens mitoyens, les travailleurs du
Montréal-Matin étant ainsi
entraînés malgré eux dans la spirale. Le Journal de Montréal devenu le numéro
un, la direction de Power décidait de rationaliser, un an après la
conclusion dune entente, et mettait la clef dans la porte du
Montréal-Matin. À une
semaine dintervalle, à lautomne 1979, Albert et Pierre faisaient
bénéficier le Journal de
Québec de leurs talents.