INFO-NÉGOS secteur public
30 octobre 2020
Une invitation manquée pour le gouvernement
La négociation a véritablement débuté il y a maintenant près de 10 mois. Au cours de l’été, nous avons proposé au gouvernement d’accélérer les négociations, de mettre toutes nos énergies à convenir d’une nouvelle convention collective avant la rentrée scolaire, avant une inévitable deuxième vague. Les quelque 55 000 membres affiliés de la FTQ en santé et en éducation sont au front au quotidien pour assurer les services de première ligne à la population. Des milliers d’entre eux ont contracté la COVID-19 dans l’exercice de leur fonction, en s’exposant aux risques, et certains en sont morts.
La première vague a exercé une pression phénoménale sur nos réseaux, sur l’ensemble du personnel. Au cours des dernières années, nous avions pourtant sonné l’alarme. Nous indiquions que nous allions frapper un mur, et ce, bien avant la crise sanitaire. Les problèmes d’attraction et de rétention de personnel étaient déjà à un niveau critique. Une organisation du travail déficiente, de multiples réformes de structure, l’absence de reconnaissance, de valorisation, et des écarts importants de rémunération par rapport aux autres grandes catégories d’emploi faisant l’objet d’une analyse par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sont autant de facteurs d’une catastrophe annoncée. La crise sanitaire a exacerbé des lacunes systémiques.
Nous avons pourtant proposé des solutions. Nous avons ciblé nos priorités et fait un nouveau dépôt global révisé le 22 juillet dernier avec la ferme volonté de provoquer des mouvements à la table de négociation. Il nous semblait qu’une entente était possible juste à temps pour la rentrée scolaire et avant une inévitable deuxième vague. C’est à ce rendez-vous que nous avons convié le gouvernement. Une mobilisation extraordinaire pour être prêts à affronter la deuxième vague. Durant tout l’été, en marge des séances de négociation et toujours avec la ferme volonté d’en arriver à une entente, nous avons tenu des rencontres avec certains ministres afin d’échanger sur les enjeux, de leur livrer un portrait de la situation dramatique des effectifs et de partager les solutions mises de l’avant par la FTQ. Il y a bien eu certaines avancées à la table centrale, mais sur des éléments plus secondaires. Rien de concret quant à nos principales demandes. Pourtant, la situation des effectifs est critique en éducation est en santé. Les départs se constatent par milliers. Le message sur l’urgence d’agir n’est pas entendu. C’est un rendez-vous manqué pour le gouvernement Legault. Nous sommes au cœur de la deuxième vague. Plus de 17 000 travailleurs et travailleuses de la santé et de l’éducation ont contracté la COVID-19 dans l’exercice de leur fonction. Il y a rupture de services et les conditions de travail ne font que se dégrader. Il faut agir maintenant.
Nous avions même relancé l’invitation avec la date du 30 septembre qui correspondait à la menace du gouvernement de faire tomber certaines primes. Encore une fois, aucun mouvement significatif si ce n’est la poursuite du versement desdites primes alors que certaines recommandations émanant du gouvernement lui-même indiquaient que le fait de cesser, à titre d’exemple, la prime pour les psychologues aurait pour effet de compromettre les services à la population. Une situation aberrante.
Des demandes raisonnables… des solutions immédiates
Nous avons proposé des solutions. À titre d’exemple, une entente est intervenue quant à des orientations provinciales visant à favoriser l’intégration de milliers de préposés et préposées aux bénéficiaires (PAB) dans le réseau de la santé. Le 22 septembre dernier, nous avons également fait une proposition qui permettrait de régler la question de la rémunération des PAB et des auxiliaires aux services de santé et sociaux (ASSS). Depuis cette date, c’est le silence absolu. Aucun retour depuis plus d’un mois. Le premier ministre avait déclaré au mois de juin que s’il n’en tenait qu’à lui, il aurait réglé cette question bien avant. La solution est sur la table, Monsieur Legault, pour l’ensemble des PAB ainsi que pour les ASSS alors que les soins à domicile sont tout aussi essentiels. Qu’attendez-vous pour agir, Monsieur Legault?
Aux tables sectorielles, tant en santé qu’en éducation, nous nous sommes mis en mode «solution». C’est cependant l’impasse totale alors que les vis-à-vis patronaux répètent inlassablement qu’ils n’ont pas de mandat. Nous avons multiplié les appels à la négociation au cours des derniers mois, mais force est de constater qu’on ne peut négocier avec nous-mêmes.
Rappelons ici nos principales demandes:
- Obtenir des augmentations de salaire qui garantissent une amélioration du pouvoir d’achat après de multiples rondes de négociation où l’écart n’a fait que se creuser. Nous avons revu nos demandes initiales pour tenir compte du contexte. Toutefois, si un rattrapage n’est pas amorcé, la crise de la main-d’œuvre en éducation et en santé ne fera que s’aggraver. Nous demandons 2% par année pour chacune des 3 années d’application de la convention collective. Rappelons que l’offre du gouvernement demeure inchangée depuis le début des négociations, soit 1,75% (2020), 1,75% (2021) et 1,5% (2022);
- Implanter une structure salariale révisée à la troisième année de la convention collective (2022). Notre position initiale était d’amorcer un rattrapage dès la première année puisque les secteurs de l’éducation et de la santé sont derniers de classe en matière de rémunération lorsque vient le temps d’établir une comparaison avec la catégorie des «Autres salariés québécois», selon l’ISQ. Notre proposition révisée vise une diminution des écarts salariaux non pas la première année, mais plutôt à la dernière année de la convention collective projetée, soit en 2022. Il faut absolument amorcer un début de correction pour ne pas revivre la pénurie de main-d’œuvre constatée et les difficultés d’attraction engendrées par un problème de rémunération systémique. Notre proposition vise aussi à augmenter les salaires d’entrée pour les rangements 12 à 28 dans le but d’accroître la capacité d’attraction des fonctions visées, ce qui répond à une préoccupation partagée. Le gouvernement doit reconnaître ces problèmes et agir maintenant;
- Renégocier les principales primes prévues à la convention collective alors que la situation de crise que nous vivons n’a fait qu’accentuer les constats déjà alarmants quant aux difficultés d’attraction et de rétention dans plusieurs catégories d’emploi. Ces primes permettent de limiter les dégâts face à un problème de rémunération permanent;
- Augmenter de manière récurrente la contribution patronale aux assurances collectives. Actuellement, la contribution totale du gouvernement aux assurances collectives est de 21% uniquement, alors que nous assumons 79% des coûts. De manière générale, peu importe le secteur d’activité, le partage de ces coûts est en moyenne de 50/50. La charge de ces coûts est encore plus grande pour le personnel à statut précaire. Face à la crise de la main-d’œuvre, à la crise d’attraction et de rétention du personnel en éducation et en santé, il faut corriger cette anomalie. Notre proposition vise à rétablir l’équilibre dès la première année. Le gouvernement nous parle de «Santé globale» et veut trouver des moyens d’augmenter la présence au travail. Nous croyons que les sommes qu’il veut y consacrer devraient servir à améliorer ce qui est à la base du problème de rétention et d’attraction en éducation et en santé: des conditions de travail déficientes;
- Mettre en place des mesures qui favorisent réellement la conciliation travail-famille, notamment en éliminant le plus possible les horaires atypiques. Cet exercice a d’ailleurs débuté dans plusieurs CIUSSS, CISSS et EPC;
- Mettre en place des mesures visant la valorisation et la reconnaissance du personnel de l’éducation et de la santé afin de contribuer à augmenter la capacité de rétention et d’attraction du personnel et ainsi freiner l’hémorragie.
Une véritable rupture de service
La deuxième vague ne semble pas vouloir se résorber. Le personnel, nos membres, sont épuisés par un marathon qui n’en finit plus. Les départs se font maintenant par milliers. Il y a réelle menace d’une rupture de services généralisée. En éducation, il y a pénurie de personnel dans de nombreux titres d’emplois, que ce soit chez les professionnels, le personnel administratif, les services de garde, le personnel de soutien, incluant les ouvriers spécialisés et chez les concierges, où de nombreux postes demeurent vacants, faute de candidatures disponibles. La capacité d’attirer de nouvelles embauches n’y est pas, car les conditions de travail ne sont tout simplement pas au rendez-vous. En plus, le ministre Roberge a imposé une réforme des structures avec la mise en place des centres de services pour remplacer les commissions scolaires, et ce, dès la rentrée scolaire et en pleine pandémie.
En santé, au CIUSSS de l’Estrie, dans une seule catégorie d’emploi, c’est plus de 500 de nos membres qui ont quitté leur emploi entre le mois d’août 2019 et le mois d’août 2020, soit quelque 10% des effectifs. Concrètement, selon la planification de main-d’œuvre établie par l’employeur lui-même, il y manque actuellement 437 PAB et aides de service, et ce, malgré l’arrivée des milliers de PAB dans le réseau.
La situation a atteint un point de rupture partout au Québec et il faut agir maintenant. Il y a bel et bien rupture de services. Qu’attendez-vous pour agir, Monsieur Legault?
Le cadre financier fixé par le gouvernement ne permet pas de corriger la crise de personnel en santé et en éducation. Dans cette négociation, le gouvernement Legault n’a cherché à aborder que ses propres enjeux. Il a fixé les sujets, les forums pour en discuter et a procédé par arrêtés ministériels pour le reste.
Sondage CROP-FTQ – Les salaires en éducation et en santé… un investissement!
Nous venons tout juste de mener un vaste sondage afin de prendre le pouls de la population. Nous avons fait appel à la maison de sondage CROP, qui a procédé à la consultation entre le 15 et le 20 octobre dernier. Les réponses à plusieurs des questions soulevées nous donnent des indications très importantes, notamment:
- À la question «Est-ce que les négociations du contrat de travail des employés du secteur de la santé et de l’éducation devraient être une priorité du gouvernement du Québec (Legault)?»: 85% affirment que les négociations devraient être prioritaires;
- À l’affirmation «Dans les secteurs de la santé et de l’éducation, la pénurie de personnel s’explique par la trop grande charge de travail et par des salaires trop bas»: 84% sont en accord avec cette affirmation alors que seulement 14% sont plutôt en désaccord et 3% sont tout à fait en désaccord;
- À la question concernant la priorité à donner aux investissements en infrastructures ou à finaliser la négociation du contrat de travail en santé et en éducation: 12% prioriseraient les investissements en infrastructures alors que près du triple, soit 35%, prioriseraient la négociation. Enfin, 53% donneraient une importance équivalente à ces deux priorités;
- À la question «De façon générale, considérez-vous que les salaires des employés du secteur public, dont de la santé et de l’éducation, représentent une dépense pour le gouvernement ou un investissement»: 77% de la population considèrent que les salaires sont un investissement alors que seulement 23% considèrent qu’il s’agit d’une dépense;
- À la question «Croyez-vous qu’un règlement dans les négociations du contrat des employés du secteur public pourrait aider à faire face à la COVID-19 dans les prochains mois»: 75% de la population croient en effet qu’une entente pourrait permettre de mieux y faire face.
Les prochaines semaines
Nous souhaitons toujours une entente négociée dans les meilleurs délais. C’est possible. Nous croyons qu’un blitz de négociations intensives pourrait nous permettre de conclure rapidement puisque les enjeux sont clairement identifiés et nos priorités, bien ciblées.
Cependant, pour y arriver, le gouvernement doit amorcer la correction des conditions de travail. Le gouvernement doit sortir du cadre budgétaire imposé.
Pour l’instant, c’est l’impasse et nous devrons nous mobiliser. Le gouvernement de François Legault, avec son projet de loi no 66, s’apprête à investir 14 milliards de dollars d’argent public pour des projets d’infrastructures, dont 3 milliards d’argent «neuf». Investir dans le béton, c’est une chose. Investir dans ses ressources humaines devrait être prioritaire et urgent. Il est temps de rémunérer correctement les personnes qui s’exposent, qui offrent les services, qui soutiennent directement les familles du Québec. Comme l’indique la réponse au sondage, il est temps de voir le salaire des membres que nous représentons comme un investissement pour assurer des services publics forts, et non une simple dépense.
D’ailleurs, revenant au sondage CROP, voyons les réponses à la question: «Avec la crise de la COVID-19, les finances publiques du Québec se retrouvent en déficit. Dans ce contexte, quelle doit être la priorité du gouvernement du Québec? Est-ce:
- Réduire les dépenses pour retrouver le déficit zéro (13%)
- Maintenir un bon niveau de dépenses publiques pour assurer la relance (70%)
- Ne sait pas (17%)»
Nous amorcerons une série d’actions au cours des prochaines semaines.
Nous interpellerons la population.
Nous aurons besoin de chaque voix, chacune et chacun d’entre vous, d’entre nous.
On ne peut accepter le cadre monétaire actuel, pas plus qu’on ne peut accepter la proposition du gouvernement de vouloir éliminer les règles applicables aux heures supplémentaires dans ce qui ressemble à une véritable révolution, une avenue qui ne ferait qu’aggraver les conditions de pratique et qui aurait pour conséquence d’accélérer des départs qui se comptent déjà par milliers.
Le gouvernement doit faire le choix de ses ressources humaines, de son personnel. Il s’agit d’un investissement rentable. Laissons les infrastructures pour un instant, Monsieur Legault. Il y a urgence et nous sommes plus que jamais convaincus que la population soutient ce choix.
Il est temps d’agir, Monsieur Legault!