Les contradictions de Pierre Karl Péladeau
16 avril 2008
Québec, le
mercredi 16 avril 2008 Entendu par le CRTC hier, le grand
patron de Quebecor Media sest dit en faveur dun système
darbitrage des différends. Le moins quon puisse dire, cest que
Pierre Karl Péladeau nen est pas à une contradiction près. En
effet, cest précisément ce même recours à larbitrage que Quebecor
Media refuse dans le lock-out au Journal de Québec, lock-out qui dure
depuis bientôt un an.
Dans son édition de ce matin (mercredi),
citant les propos tenus par Pierre Karl Péladeau lui-même, La
Presse rapporte: «La
réglementation du CRTC devrait permettre de négocier ouvertement
les conditions de diffusion d’une station de télévision, comme dans
n’importe quelle autre industrie, dit Pierre Karl Péladeau,
président et chef de la direction de Quebecor. Si elles ne peuvent s’entendre, les parties
feraient alors appel à un arbitre comme c’est le cas en droit du
travail ou en droit commercial classique. L’arbitrage est la
dernière étape du processus. Je serais surpris qu’on en arrive
souvent là car le diffuseur a besoin d’être diffusé et le
distributeur veut offrir des chaînes de télévision à ses
clients.» (Cest nous qui soulignons.)
«Cest quand même spécial. Pour courtiser le CRTC il ne trouve que
des vertus à larbitrage. Mais quand il sagit de ses employés, il
refuse systématiquement. Et cest toujours le même Pierre Karl
Péladeau», sindigne Denis Bolduc porte-parole des employés
en conflit du Journal de
Québec.
Rappelons que le 27 janvier, les syndiqués ont proposé de faire
trancher le conflit par un arbitre, comme cela est prévu au
Code du travail. Dans un
communiqué laconique, Quebecor avait immédiatement fait savoir
quelle refusait larbitrage de ce différend.
«Peut-être quun des conseillers
de Pierre Karl Péladeau devrait lui apprendre un principe
fondamental en relations du travail, ce qui est bon pour pitou est
aussi bon pour minou!» a résumé Denis Bolduc.
Le lock-out, une spécialité
Quebecor
La méthode forte, celle qui consiste à mettre ses employés à la rue
pour forcer des concessions, est une habitude pour Quebecor Media.
En 13 ans, de 1994 à 2007, 12 lock-out ont été décrétés par
Quebecor contre ses employés, tous sous la gouverne de Pierre Karl
Péladeau. En voici la liste.
Journal de Montréal
(préparation)
19 septembre au 6 février 1994 140 jours 150 travailleurs
Journal de Montréal
(pressiers)
11 octobre 1993 au 8 mars 1994 148 jours 148 travailleurs
Journal de Montréal
(encarteurs, expédition, deux accréditations)
11 octobre 1993 au 17 mars 1994* 110,5 jours 210 travailleurs
Vidéotron Télécom 78 jours 112 travailleurs
30 avril au 16 juillet 2002
Vidéotron Montréal* 360 jours 1800 travailleurs
8 mai 2002 au 2 mai 2003
Vidéotron Québec* 360 jours 313 travailleurs
8 mai 2002 au 2 mai 2003
Groupe TVA Montréal* 7 jours 7 travailleurs
3 au 9 juillet 2003
Groupe TVA Estrie 67 jours 6 travailleurs
30 janvier au 5 avril 2004
Journal de Montréal
(vendeurs) 36 jours 44 travailleurs
9 février au 15 mars 2004
Journal de Montréal
(pressiers)** 114 jours plus de 100 travailleurs
22 octobre 2006 au 12 février 2007
Journal de Québec (bureau)
? jours 68 travailleurs
22 avril 2007 à ce jour
Journal de Québec
(rédaction) ? jours 69 travailleurs
22 avril 2007 à ce jour
* Lock-out et grève
** Lock-out déclaré illégal par le tribunal
Les enjeux
Les enjeux de ce conflit de travail sont multiples. Nen
mentionnons que quelques-uns. Pour les employés de bureau, ce sont
surtout des questions de sous-traitance et de délocalisation des
emplois. Pour ceux de limprimerie, cest létablissement de
conditions salariales différenciées. Pour les journalistes et
photographes, cest la redéfinition même de lexercice de leur
profession qui est dans la balance, une bataille pour la qualité de
linformation et la liberté de presse. À tous les employés,
lemployeur demande aussi de faire passer la semaine de travail de
quatre jours à cinq jours semaine, sans aucune compensation.
Un an de lock-out au Journal de Québec
Les employés de bureau et de la rédaction du Journal de Québec sont sous le coup
dun lock-out décrété par lemployeur le 22 avril 2007. Avant le
déclenchement du lock-out, aucun des trois syndicats navait
demandé de mandat de grève à ses membres ni même exercé de moyens
de pression. En solidarité avec leurs collègues jetés sur le
trottoir par la décision de Quebecor/Corporation Sun Media, les
employés de limprimerie ont voté la grève à 97%.
Aucun conflit de travail navait eu lieu depuis la fondation du
Journal de Québec en 1967.
Au printemps 2006, tous les employés syndiqués du Journal avaient
accepté de reconduire la convention collective pour un an en
partenariat avec lemployeur pour mieux affronter son concurrent,
Le Soleil, qui passait au
format tabloïd.
Au moment du déclenchement du conflit, le Journal de Québec dégageait des
profits nets annuels denviron 25 millions de dollars et était le
numéro un dans son marché.
Selon les données de lAudit Bureau of Circulations (ABC)
(organisme spécialisé dans l’évaluation de la distribution des
quotidiens partout sur le continent nord-américain), au moment de
lannonce du lock-out, le Journal
de Québec était celui qui avait connu la plus forte
progression au Canada (soit 2,5%, pour la période de six mois se
terminant le 31 mars 2007, du lundi au vendredi, pour les
quotidiens de plus de 100,000 exemplaires).
La brutalité de ce lock-out, malgré la très grande profitabilité de
lentreprise, fait dire aux syndiqués que Quebecor/Sun Media
pratique à leur endroit du «terrorisme économique».
Aucun piquet de grève na été érigé par les syndiqués depuis le
début du lock-out.
Depuis le 24 avril 2007, les employés en conflit publient et
distribuent cinq jours semaine 40,000 exemplaires du MédiaMatinQuébec, un quotidien gratuit
quils ont créé pour rappeler leur cause à la population de Québec.
Quebecor/Corporation Sun Media a entrepris plusieurs recours
judiciaires pour empêcher la publication du MédiaMatinQuébec. Toutes ces démarches
ont échoué.
Malgré le conflit, le Journal de
Québec continue dêtre publié. Il est imprimé principalement
à Mirabel plutôt quà Québec.
Le 27 janvier, les syndiqués ont proposé de faire trancher le
conflit par un arbitre, comme cela est prévu au Code du travail. Dans un communiqué
laconique, Quebecor a immédiatement fait savoir quelle refusait
cette proposition.
Dans une décision rendue le 23 août 2007, en application de
larticle 109 du Code du travail du Québec (dispositions
anti-scabs), la Commission des relations du travail (CRT) du Québec
a ordonné à la direction du Journal de Québec de cesser de
recourir aux services de quatre personnes qui remplissaient les
fonctions de salariés en conflit.
De nouvelles plaintes concernant lutilisation de travailleurs
illégaux ont été déposées par les syndicats en octobre et novembre
2007. Au total, ces plaintes visent 17 personnes. Des audiences de
la CRT sur ces plaintes ont eu lieu les 14 et 28 janvier, 12 et 14
mars. Lors des premières audiences, le rédacteur en chef du
Journal de Québec, Serge
Gosselin, a déclaré sous serment quil nestimait «pas pertinent» de savoir qui sont les
auteurs des articles provenant de Canoë et publiés dans son
quotidien en lockout. Dautre part, dans son témoignage Sylvain
Chamberland a expliqué que cest à la demande de Pierre Karl
Péladeau lui-même quil a lancé son agence à la fin mai 2007, soit
un mois après le début du lock-out. Le 28 mars, Quebecor a tenté
dobtenir de la CRT une ordonnance de non divulgation, de non
publication et de non diffusion. Cette requête a été refusée séance
tenante par la CRT. Les audiences devant la CRT vont se poursuivre
les 14 mai et 16 mai.
Par ailleurs, le 15 avril 2008, en cour criminelle, le Journal de Québec, le portail Internet
Canoë et le journaliste de Canoë Hubert Lapointe ont laissé
entendre quils plaideraient coupables à des accusations
criminelles pour avoir, à lété 2007, divulgué le nom dune victime
dagression sexuelle malgré une ordonnance de non-publication de la
Cour. Cette affaire reviendra devant le tribunal le 17 juin. Hubert
Lapointe est lune des 17 personnes visées par les plaintes sur
lemploi de scabs.